Les modes de transports en communs dans La Comédie humaine
En diligence
À l’époque, le moyen de transport commun, pour les longues distances, est encore la diligence. Fatigant, Balzac le fait remarquer dans sa correspondance
Ma chère mère, je suis arrivé à bon port, mais horriblement fatigué. L’on demandait les passeports à tous les endroits où il y avait de la gendarmerie. Aujourd’hui, je suis reposé ; cependant, je me sens encore quelques contusions, principalement au bras gauche, il y a certains mouvements qu’il m’est impossible de faire. Mais enfin, je suis ici, bien reposé maintenant ; deux jours ont à peine suffi.
lettre à sa mère, Saché, 10 juin [1832]
Le déplacement en voiture à cheval est fréquent dans les romans de Balzac. Même s’il n’est pas forcément détaillé.
Un cas de voyage de ce type est curieusement utilisé et réutilisé. Dans La Rabouilleuse (où l’on se déplace pas mal entre Paris et Issoudun) Balzac fait dire ceci à l’un de ses personnages, peintre en devenir
— Malheureusement je ne suis encore connu que des peintres. Je suis appuyé par Schinner qui doit me procurer des travaux au château de Presles où j’irai vers octobre faire des arabesques, des encadrements, des ornements très bien payés par le comte de Sérizy.
Ce trajet, qui tient en une ligne de projection ici, fait l’objet d’un roman-diligence, plutôt important en taille : Un début dans la vie. Ce texte est un des rares récits de voyages (petit voyage de quelques dizaines de kilomètres), mais romancé, de Balzac (notons l’autre –court- roman-diligence Le Message. Et encore, ce qui importe n’est pas ce que les voyageurs peuvent apercevoir par la fenêtre mais bien le drame-mascarade qui se déroule dans la voiture. Balzac en profite pour expliquer comment fonctionnent ces diligences
La voiture à Pierrotin et celle de son camarade desservaient Stors, le Val, Parmain, Champagne, Mours, Prérolles, Nogent, Nerville et Maffliers. Pierrotin était si connu, que les habitants de Monsoult, de Moisselles et de Saint-Brice, quoique situés sur la grande route, se servaient de sa voiture, où la chance d’avoir une place se rencontrait plus souvent que dans les diligences de Beaumont, toujours pleines. Pierrotin faisait bon ménage avec sa concurrence. Quand Pierrotin partait de l’Isle-Adam, son camarade revenait de Paris, et vice versâ. Il est inutile de parler du concurrent, Pierrotin avait les sympathies du pays. Des deux messagers, il est d’ailleurs le seul en scène dans cette véridique histoire. Qu’il vous suffise donc de savoir que les deux voituriers vivaient en bonne intelligence, se faisant une loyale guerre, et se disputant les habitants par de bons procédés. Ils avaient à Paris, par économie, la même cour, le même hôtel, la même écurie, le même hangar, le même bureau, le même employé. Ce détail dit assez que Pierrotin et son adversaire étaient, selon l’expression du peuple, de bonnes pâtes d’hommes.
Cet hôtel, situé précisément à l’angle de la rue d’Enghien, existe encore, et se nomme le Lion-d’Argent. Le propriétaire de cet établissement destiné, depuis un temps immémorial, à loger des messagers, exploitait lui-même une entreprise de voitures pour Dammartin si solidement établie que les Touchard, ses voisins, dont les Petites-Messageries sont en face, ne songeaient point à lancer de voiture sur cette ligne.
Quoique les départs pour l’Isle-Adam dussent avoir lieu à heure fixe, Pierrotin et son co-messager pratiquaient à cet égard une indulgence qui leur conciliait l’affection des gens du pays, et leur valait de fortes remontrances de la part des étrangers, habitués à la régularité des grands établissements publics ; mais les deux conducteurs de cette voiture, moitié diligence, moitié coucou, trouvaient toujours des défenseurs parmi leurs habitués. Le soir, le départ de quatre heures traînait jusqu’à quatre heures et demie, et celui du matin, quoique indiqué pour huit heures, n’avait jamais lieu avant neuf heures. Ce système était d’ailleurs excessivement élastique. En été, temps d’or pour les messagers, la loi des départs, rigoureuse envers les inconnus, ne pliait que pour les gens du pays. Cette méthode offrait à Pierrotin la possibilité d’empocher le prix de deux places pour une, quand un habitant du pays venait de bonne heure demander une place appartenant à un oiseau de passage qui, par malheur, était en retard. Cette élasticité ne trouverait certes pas grâce aux yeux des puristes en morale ; mais Pierrotin et son collègue la justifiaient par la dureté des temps, par leurs pertes pendant la saison d’hiver, par la nécessité d’avoir bientôt de meilleures voitures, et enfin par l’exacte observation de la loi écrite sur des bulletins dont les exemplaires excessivement rares ne se donnaient qu’aux voyageurs de passage assez obstinés pour en exiger.
Un début dans la vie
Il arrive aussi à notre écrivain de profiter du déplacement de certains de ses personnages pour émettre des appréciations sur le réseau routier et une certaine géopolitique de l’époque
La décadence d’Issoudun s’explique donc par l’esprit d’immobilisme poussé jusqu’à l’ineptie et qu’un seul fait fera comprendre. Quand on s’occupa de la route de Paris à Toulouse, il était naturel de la diriger de Vierzon sur Châteauroux, par Issoudun. La route eût été plus courte qu’en la dirigeant, comme elle l’est, par Vatan. Mais les notabilités du pays et le conseil municipal d’Issoudun, dont la délibération existe, dit-on, demandèrent la direction par Vatan, en objectant que, si la grande route traversait leur ville, les vivres augmenteraient de prix, et que l’on serait exposé à payer les poulets trente sous. On ne trouve l’analogue d’un pareil acte que dans les contrées les plus sauvages de la Sardaigne, pays si peuplé, si riche autrefois, aujourd’hui si désert.
La Rabouilleuse
En bateau
Quasiment exhaustif dans les moyens de transport, Balzac utilise aussi le bateau pour véhiculer ses personnages. Des petits bateaux, la toue pour franchir l’Indre (encore Le Lys dans la vallée),
– une promenade en barque dans Albert Savarus (cela se déroule en Suisse)
Le soir, il se promena naturellement en bateau sur le lac, autour de ce promontoire, il alla jusqu’à Brünnen, à Schwitz, et revint à la nuit tombante.
– des bateaux un peu plus grands dans Jésus-Christ en Flandre.
La barque qui servait à passer les voyageurs de l’île de Cadzant à Ostende allait quitter le rivage. Avant de détacher la chaîne de fer qui retenait sa chaloupe à une pierre de la petite jetée où l’on s’embarquait, le patron donna du cor à plusieurs reprises, afin d’appeler les retardataires, car ce voyage était son dernier. La nuit approchait, les derniers feux du soleil couchant permettaient à peine d’apercevoir les côtes de Flandre et de distinguer dans l’île les passagers attardés, errant soit le long des murs en terre dont les champs étaient environnés, soit parmi les hauts joncs des marais. (Jésus-Christ en Flandre)
On sait que Balzac passe en Belgique au moins 2 fois. Il n’en reste que peu de chose dans ses lettres, des évocations succinctes souvent liée à ce petit roman, finalement seul écrit conséquent sur cette région.
– de vrais transporteurs sur le fleuve Loire, à l’époque navigable et vecteur de communication encore emprunté. Balzac lui-même descend la Loire avec Madame de Berny lors de l’été 1830.
Figurez- vous ensuite que j’ai fait le plus poétique voyage qui soit possible en France ! Aller d’ici au fond de la Bretagne, à la mer, par eau, pas cher, trois ou quatre sous par lieue, en passant par les plus riantes rives du monde ; je sentais mes pensées grandir avec ce fleuve, qui, près de la mer, devient immense. Oh ! mener une vie de Mohican, courir sur les rochers, nager en mer, respirer en plein air le soleil ! Oh ! que j’ai conçu le sauvage ! Oh ! que j’ai admirablement compris les corsaires, les aventuriers, les vies d’opposition; et là, je médisais : « La vie, c’est du courage, de bonnes carabines, l’art de se diriger en pleine mer et la haine de l’homme (de l’Anglais par exemple) « Oh I trente gaillards qui s’entendraient… et mettraient bas les préjugés comme M. Kernock ».
lettre à Victor Ratier, La Grenadière, 21 juillet 1830
Ils vont de Tours au Croisic, visitant au passage Batz-sur-mer et Guérande ; ces visites procurent à Balzac de la matière pour certains romans comme Béatrix (Guérande) et Un Drame au bord de la mer (Le Croisic / Batz-sur-Mer).
Le voyage en bateau peut être encore dangeureux. Quelques accidents de chaudières marquent les esprits, notamment celui de Balzac puisqu’à la toute fin d’Albert Savarus, un personnage, Mademoiselle de Watteville, subit une expolsion similaire
Par un de ces hasards auxquels le vieil abbé de Grancey avait fait allusion, elle se trouva sur la Loire dans le bateau à vapeur dont la chaudière fit explosion. Mademoiselle de Watteville fut si cruellement maltraitée qu’elle a perdu le bras et la jambe gauche ; son visage porte d’affreuses cicatrices qui la privent de sa beauté ; sa santé soumise à des troubles horribles lui laisse peu de jours sans souffrance.
Toutefois, ce moyen de transport, maritime ou fluvial est rarement développé dans La Comédie humaine.
En train
Le train est lui aussi peu utilisé par les personnages de Balzac. C’est un moyen de transports qui apparaît à peine, mais se développe fortement en France dans les années 1840. La ligne Paris-Tours est inaugurée, pour son tronçon depuis Orléans, en 1846. Balzac peut alors faire le trajet de chez lui à la Touraine en 6 heures environ. Il ne profite que de ce confort que lors de ses derniers séjours en Touraine.
Balzac pressant donc (on l’a vu plus haut) les changements que va apporter ce nouveau moyen de transport. Il semble dire qu’on ne voyage pas avec la même volubilité en train qu’en diligence
J’ai remarqué combien ces tonneaux pleins d’esprit sont disposés à se vider quand ils sont charriés par des diligences ou des coucous, par tous les véhicules que traînent les chevaux, car personne ne cause en chemin de fer.
Petites Misères de la vie conjugale
Si ses personnages ne prennent que très peu le train, cette révolution est évoquée dans le roman Un Début dans la vie
Les chemins de fer, dans un avenir aujourd’hui peu éloigné, doivent faire disparaître certaines industries, en modifier quelques autres, et surtout celles qui concernent les différents modes de transport en usage pour les environs de Paris. Aussi, bientôt les personnes et les choses qui sont les éléments de cette Scène lui donneront-elles le mérite d’un travail d’archéologie. Nos neveux ne seront-ils pas enchantés de connaître le matériel social d’une époque qu’ils nommeront le vieux temps ? Ainsi les pittoresques coucous qui stationnaient sur la place de la Concorde en encombrant le Cours-la-Reine, les coucous si florissants pendant un siècle, si nombreux encore en 1830, n’existent plus ; et, par la plus attrayante solennité champêtre, à peine en aperçoit-on un sur la route en 1842.
Un début dans la vie
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