Il y a un moment, je me suis baladé dans le Canada de Mahigan Lepage, dans ses Coulées, dans son autogéographie humaine et physique. J’y repère de larges extraits évoquant le passage de la ville à ses alentours, le desserrement ou resserrement du tissu urbain, la discontinuité causée par le fleuve. Je suis particulièrement sensible -moi qui abhorre les villages-rue et aime à chercher un centre qui s’élargit autour d’une place- à l’idée d’être enveloppé par le village : La rectitude du village empêchait que l’on s’y sentir nulle part au centre, nulle part enveloppé. Je voulais lui demander depuis un moment ces extraits, à Mahigan, flemme de recopier, et voilà que je découvre la saisie vocale sur le téléphone moderne, alors, face au plis du terrain chinonais je déclame le texte et le téléphone prend note.
Parce qu’il fallait bien, Christian Garcin le voyageur, je suis ses voyages sur Facebook, et peut-être que ce sont eux que je retrouve là, quelques années plus tard. Une entrée dans cette œuvre par les vétilles, puis par ce livre sur les pas de Cendrars dans le transsibérien. Avec l’envie d’aller voir du côté des romans, maintenant. Voyageur (donc géo-graphe ?), il nous évoque sa relation aux lieux, l’importance de la projection dans les noms, l’espace.
Incroyable immensité d’Athènes. Depuis le mur de « Thémistocle », les immeubles se succèdent le long du littoral, à l’infini. Il ne s’agit sans doute plus d’Athènes mais du Pirée, ou d’une autre localité encore, mais ce que l’œil et tous les sens perçoivent, c’est une seule ville.
Vetilles
•
Toute ma vie je cours , je courrai après cet état-là de la perception du temps et de l’espace. J’avale des kilomètres, parcours des étendues immenses et lointaines, et ce que je cherche réside dans le regard imaginé d’un enfant sur trois mètres carrés d’un territoire qu’il a fait sien, et qui recouvre le monde.
Vétilles
•
C’est d’ailleurs à une arrivée similaire à Minsk, en hiver également, dix mois plus tôt, que je songeai tout d’abord, selon ce principe ancien et un peu agaçant chez moi qui est le « démon de l’analogie », comme si chaque lieu traversé, chaque expérience vécue, chaque livre lu m’en évoquait systématiquement, et toujours en premier lieu, un autre.
Le Lausanne-Moscou-Pékin
•
Ce transsibérien dans lequel nous venons de monter, l’idée même de traverser la Sibérie, font probablement davantage rêver les francophones que les Russes, ceci grâce sans doute à Michel Strogoff et à Blaise Cendrars – pour évoquer là deux personnages diversement fictifs. Pour les Russes qui grimpent dans ce train, il s’agit d’un moyen de transport, lent et coûteux. Pour nous, d’un voyage dans les noms et l’imaginaire, dans l’histoire et la géographie, dans le broun-roun-roun des roues comme disait Blaise Cendrars, dans le rythme à quatre temps des trains d’Europe, à cinq ou sept temps des trains d’Asie, dans la littérature aussi, et la vive réalité dans quoi baignent les hommes et les lieux que nous traversons – ou plus exactement les lieux qui nous traverseront, condition sous laquelle un des buts de ce voyage, à savoir faire coïncider toutes ces réalités, imaginaires et onomastiques, historiques et géographiques, sonores, littéraires et quotidiennes, sera partiellement atteint.
Le Lausanne-Moscou-Pékin
•
Cendrars le savait, qui alignait ses litanies de villes, Tomsk Tcheliabinsk Kaïnsk Obi Taïchet Verkhné-Oudinsk… : on voyage dans les noms avant de voyager dans les lieux, et il n’est pas rare que le premier de ces voyages conditionne le second. Les noms par exemple d’Oulan Bator, Valparaiso, Samarkand, Vladivostock, Montevideo, Irkousk aussi, bien sûr, sont comme des diamants qui brillent de mille feux et qu’on observe à travers une vitre sans imaginer pouvoir les posséder un jour, c’est-à-dire s’y rendre. Lorsqu’on le fait, le décalage est parfois colossal entre la brute réalité du lieu et l’imaginaire dont on l’avait habillé.
Le Lausanne-Moscou-Pékin
Je me suis perdu dans Londres, je n’avais pas le bon plan. Mais j’ai aimé ça. Et puis comme elle me propose de venir causer, je lui dis que je prépare un texte. Une petite lecture. Alors plongée, d’abord, dans Les yeux ouverts, les yeux fermés. Relever, et après couper.
Route/paysage/GéoPhy/territoire
J’ai fait une longue route en me jetant sur les chemins dans la campagne inut en courbes traîtres propres à la débandade et aux achoppements. Les champs ratissés. Les cours de ferme. Les bois privés. Les étangs, les étendues muettes. Pressée de dissiper l’énergie, de trancher. Couper à travers champs était presque impossible. Il n’y a plus de fils de fer barbelés, il y des rubans électrifiés qui les délimitent. J’ai vu la tranche des collines qui ont été creusées, ouvertes. J’ai vu la blancheur de l’os, du cartilage calcaire qui, dès l’aube, accroche la lumière. Cette ouverture démesurée, cette douceur, de la lumière blanchie, du versant. En dépit de la vitesse des véhicules, sur la route j’ai pensé au temps, aux siècles nécessaires. J’ai pensé aux hommes. Aux premiers qui s’y installèrent entre le levant et le couchant. À ce long repos du soir sous l’abri des collines. Quelque chose dans le paysage est encore là qui n’a pas changé. Je me dis, finalement, il est important de ne rien faire de trop. On n’est peut-être pas là où l’on croit.
Qu’y a t-il à faire d’autre que reprendre sur soi du territoire.
•••
lieu
Je sais qu’il y a d’autres possibilités, d’autres endroits où aboutir. Que chaque lieu est provisoire. Bras écartés, les mains de chaque côté, les muscles des yeux travaillent à élargir l’angle de vision, à gagner quelques millimètres. Mon corps pour unité de mesure connaît ce qu’il peut franchir, escalader. Et aussi les éloignements incalculables.
•••
GéoPhy
Elle marche dans une vallée qui s’élargit ou rétrécit. Suit un fleuve plus ou moins. Traverse une carrière. Le lendemain, s’approche de l’eau.
•••
Lieu/paysage/géographie
C’est drôle, elle se tient en équilibre, au bord d’elle-même comme au bord de l’eau. S’arrête en ce lieu qui n’est pas ceci et qui n’est pas cela. Ramasse par terre une petite branche. Aussitôt ce sont les lignes de fuite qui remontent vers le ciel, le sol qui bascule. Il y a toujours quelque chose qui ne se laisse pas attraper. C’est une question de géographie, de ce qui nous transforme. Elle a pris la forme de la fuite. Oublié les explications, les histoires. S’est laissée approcher. Il n’est pas dit qu’elle ne filera pas entre leurs doigts.
•••
Paysage/direction
L’autoroute est comme un pont suspendu, à peine accrochée au paysage. Il faudrait passer dessous. Traverser des morceaux de forêts, une voie ferrée, un terrain sûrement interdit d’accès tout le long protégé d’un grillage. Sortir à découvert au ras du fleuve. Atteindre, au bout de ce grand dénivelé, l’eau qui n’est d’aucune couleur sauf celle, boueuse, de la terre, quand le soleil la traverse et qu’apparaissent les grains, les poussières en suspension. Dans ce monde brun où rien ne pèse. Tout flotte et se balance dans un état d’oscillation qu’un rayon de soleil perce un instant à l’oblique, puis quitte. Restituant à la matière son mystère. Aux arbres leurs reflets. Au ciel le sien qui marque le fleuve d’argenté comme une travée de lumière, une raie au milieu des terres. Que j’ai cherchée. Que j’ai suivie. M’attachant à ce clapot, ce courant. Peut-être parce qu’il y avait en bas, avec le fleuve, une direction.
•••
MicroGéo
Elle note les toutes petites différences.
•••
MicroGéo
Dehors la voisine fait le trajet depuis l’arrêt du bus à la porte de sa maison, chargée de provisions qu’elle déplace d’un endroit à l’autre, d’un contenant à un autre depuis le magasin. Répétant les gestes de charger et décharger, jusqu’à leur aboutissement sur la table de la cuisine. La voisine revient des courses. Et c’est tout. Le dire, seulement ça, c’est une vérité qui suffit.
Les yeux ouverts les yeux fermés
•••
Paysage
Il est un pli par où s’enfuit le paysage et, comme sur un lac les vagues longtemps après nous éveillent d’un songe, il est un pli par où revient chaque jour l’aube, nous éveillant d’un songe.
•••
Paysage
À force d’ajouter de nouveaux paysages, il y a ceux qu’on oublie, qu’on transforme, qui font une empreinte différente. Avec quel étonnement elle les retrouve, obscurcis, mélangés. Y a t-il un avant et un après, elle se le demande.
•••
Lieu/paysage/espace-son
Mon pas dansé sur un pont, je passe d’un lieu à l’autre, inaperçue. Le passage est ce qui reste. Regarder au-dehors les oiseaux c’est comme écouter une musique qui ne s’arrête pas, qui remplit toujours le paysage. Il y a peu d’endroits déserts, vides absolument. Toujours un cri, un son quelque part. Des craquements de branches. Les souffles des bêtes quand elles approchent.
•••
Paysage/fleuve
Je cherche un paysage plus grossier, plus sauvage. Il est temps de laisser la vallée derrière moi, le fleuve prévisible descendre seul à l’ouest.
•••
Direction/ville/centre-périphérie
De pas, d’immeubles, de parkings, de rues. Sans regarder ni réfléchir à aucune direction, sauf à aller plus loin. Dépasser la cité où l’on dort. Dépasser la ville, traverser chaque écorce de sa périphérie. Des jours de fuite lente. Elle longe une nationale. Des jours à découvert le long d’une nationale. Des zones commerciales. Une nuit au commissariat avec l’humiliation.
[…]
Un pas en entraîne un autre, c’est ça. Des espacements apparaissent. Après des journées de pancartes et d’enseignes, de bâtiments en tôle, tout change d’échelle. L’anneau de la périphérie relâche son étreinte. Les routes plus petites. L’herbe des bas-côtés. Les gravillons, la poussière, un nuage. Le cri des corneilles qu’elle prend pour apostrophe chaque fois à son passage.
•••
Ville-campagne
Elle s’est tournée de tous côtés, il n’y avait plus rien qui fut là. Il n’y avait plus rien autour. Elle avait quitté la ville qui est une sorte de réalité, quelque chose de solide. Elle avait pris le risque de disparaître, c’est ça. Elle s’est tournée de tous côtés avant que vienne la nuit plus tranchée. Qu’arrive l’abandon.
•••
direction/espace-son
Elle a choisi au hasard une direction. Repéré les jours de marché dans les villages. Elle est passée sans trop s’attarder. Les laissant définitivement en arrière, les villages, attachés les uns aux autres. N’ayant ni début ni fin et finissant pas se relier entre eux, en bribes. Fragments de wagons, de pont. Morceaux associés de ciel et de terre, fondus ensemble. Au défilement desquels il n’est plus nécessaire de savoir qui, d’elle, du vent, bouge quoi. Qui se déplace, et pour aller où. Une antenne hissée sur une colline au-dessus d’un troupeau. Des branchages. Un silo. Le long hurlement d’un chien reliant tout à travers la campagne.
Virginie Gautier, Les yeux ouverts les yeux fermés
Territoires de papiers, strates colle / calque double calque / imprimé
« Et la superposition des feuilles donne des volumes »
(M. Butor)
juste reste 2 petits encadrés 3 petits encadrés 4 petits encadrés qui par occultation du reste du texte tire une phrase.
Une carte est une divagation
d’après les collages Territoires de Mathilde Roux
#1 Où ? LA question du géographe. Où : la spécificité de l’accent (rappelle-toi, l’accent représente la géographie : où / là / icì). Où ?
# Quelle place ? #
Nulle réponse.
#2.1 Dans les mots. Cadre. Choix & paysage qui apparaît. Lecture du paysage : depuis l’arrière-plan jusqu’au point culminant. Entre : entre deux : l’espace : l’espace du sentiment.
#2.2 En toute chose géographie. En tous mots. En toute carte un poème. Le blanc de la carte, ce n’est pas du blanc : ce sont des mots. Plan & élévation. Comme en architecture. Le plan est une carte : surface plane faussement plane : tirant vers le volume : symbolique le volume : et les mots, ce sont eux l’élévation : les mots ce sont eux qui donnent : le volume de la carte.
#3.1 Imaginer, mettre en image, mettre une image sur : la carte. Filtres pré-existants & connaissances & ignorances & expérience. La carte de l’empirisme à l’échelle 1 :1. Pourquoi tant de mots géographiques : arrière-plan / point culminant / lieu / étendue / espace / labyrinthe / monde / étendue / là / ici / … ? Sciemment ?
# Trouver les nervures de la géographie dans le socle-rythme de la page #
#3.2 La carte tire une fiction. L’esprit vagabonde sur le chemin. Si je ne sais pas rêver sur une carte, je ne peux pas être géographe. J’arpente & serpente. La vue sur la mer. Flux & reflux. Icì j’imagine la côte rocheuse, peut-être un peu de sable dans la crique. Je ne lis pas le texte de fond ; mais je le vois, il s’imprime in mente. Il est soubassement au territoire ; géologie textuelle ; juste deux morceaux – quelques mots ont transpercé la croûte de la carte pour venir affleurer à l’air libre : dans l’étendue tout court.
#4.1 L’espace c’est du contraste. Du gris en camaïeux. La carte c’est du code : gris clair = mer / plus sombre est la terre / plus blanches sont les entrelacs de routes. L’arrière texte est un quadrillage, le support rigide d’où les mots artistes émergent. Multiples ruisseaux influence de l’image sur la pensée je lis multiples réseaux.
#4.2 Si la carte est sommaire, est territoire à son état brut, encore espace. Si la carte est sommaire je la meuble, je lui donne de l’élévation, ici j’imagine une médina et là Manhattan et ici aussi je veux devenir architecte du pont qui reliera les deux rives.
#5 Tous les lieux, tous les mots. Tous les mots sont là à dessein. La carte, c’est du désir, aller ailleurs, imaginer ailleurs, rêver ailleurs. Cachés dans la carte, il y a aussi les bruits. J’imagine le gris sombre en mer, étang dû d’eau avec marée flux & reflux & mouettes & cormorans. Je suis du doigt la route, j’entends le moteur de ma voiture, j’ai une vision de La Presqu’île, erre sur des routes mais ici elles sont à angles droits et urbaines.
#6 La carte c’est moult informations, ce sont les éléments du paysage ; le paysage aplati. La carte c’est moult informations mais informations exactement inexactes. Le visible devient symbole, la route est un trait blanc, la rivière un trait double. Et l’invisible devient visible, la frontière y dévoile vibration & ondulations.
Je me souviens du professeur de géographie
« la géographie c’est savoir se perdre ».
# Echo. Un espoir de nous égarer en chemin. Echo #
#7 Je regarde la carte, les cartes. Je m’immerge. Toutes similaires, tous éléments ; toutes différentes. Un espace en engendre un autre ; transition intangible, un espace en appelle un autre. Chercher les points de contacts entre les espaces,
# peut-être en cherchant l’espace qui appelle l’autre #
#8.1 L’espace est délimité : dans l’espace d’une page. L’espace prend la forme que je lui donne. L’espace c’est du vide, du support. JE, et l’espace devient territoire. La carte vient se calquer sur l’espace texte. Effacements. Juste quelques mots subsistent. Ici est ailleurs. JE suis centre. JE est ce que je vois. JE est alentours. JE entre dans le territoire inconnu, celui de l’art. De l’artiste. L’artiste porte des territoires en lui. JE suis nombreux dedans. JE suis projections de cartes auxquelles je donne sens. Imaginer c’est donner sens. Imaginer c’est faire l’élévation de l’espace, comme l’architecte élève la façade. Le territoire c’est de l’espace en volume, c’est la 3è dimension : combinaison JE + histoire + architecture. La vie dans les plis ! dans les plis de la géographie.
#8.3 Au milieu l’espace noir . Les radiales . qui emmènent ailleurs ou alentours . qui par les petites rues . par les grands détours . ramènent à soi . Je + terre = monde . Je + ville = territoire . le territoire est la ville comme je l’invente . non .
# le dernier et le seul lieu qu’il ne m’est donné d’inventer #
#9 Multiples quartiers . sûrement on doit pouvoir les mettre bout à bout . reconstituer l’espace . reconstituer la ville. Ce que je vis de la ville . et l’espace se densifie . de mots et d’images . de pratiques . en principe je suis Christaller . je suis l’espace logique . en principe . en pratique . en pratique je suis l’espace de mes névroses . je suis l’espace de mes goûts . je suis l’espace de mes peurs . Je suis la carte de mes envies .
#10 L’horizon perd la ligne . L’horizon aplati . l’horizon vu par . l’horizon se déploie . l’horizon devient carte . Artiste + cartes + texte = territoire . carte devient territoire par mots assemblés .
# surgissant du néant #
. les mots font l’art & la géographie .
Je me souviens (on ne peut plus écrire ces 3 mots ensemble, dans cet ordre, on se dit « ça y est tout le monde va penser à Perec, c’est fait, refait & surfait », mais bon, ce sont les mots adéquats) lors de mes études de géographie, les professeurs nous encourageaient à nous perdre, pour essayer de retrouver l’orientation ; ils nous parlaient des médinas propices à la perte de repères occidentaux. Je me souviens, encore plus loin, lors de mes études d’architecture, du chargé de TD au bull-terrier (celui qui bouffait les stylos tombés à terre) qui nous avait faire un travail sur notre quartier, un quartier-espace comme on le percevait ; mon premier travail de géographe, avant de la connaître vraiment la géographie. Voilà ce que me tire cet extrait d’Environs et mesures, où que beaucoup détestent la géographie, mais que tout le monde, inévitablement, en fait.
Géographie étrangement familière (approximation)
Se perdre, se retrouver, se perdre (etc.) : la géographie est familière, étrangement familière – elle l’est même vaguement : méconnaître les frontières a longtemps été le propre de l’homme, naviguer au jugé, se fier aux étoiles selon ce qu’on en sait, avancer dans le brouillard et situer grosso modo Moscou quelque part là-bas, à main droite, vers le pôle Nord (il y neige sur des bonnets d’astrakan). De mauvaises réputations faites au sujet de peuples ignorants incapables de dire par où passent exactement les lignes des tropiques pourraient être généralisées : l’approximation est notre façon d’occuper géographiquement ce monde, même si de temps à autre, par-ci par-là, occasionnellement, la précision devient un jeu ou une aristocratie d’arpenteur, ou une question de stratégie. Le vague relève de la familiarité : ne pas trop savoir où on est c’est parfois se sentir chez soi (supposons), tandis que l’étranger venu de l’autre bout du monde a tout intérêt à savoir avec exactitude où finissent et où commencent les terres.
Une géographie étrangement familière : s’y retrouver familièrement, reconnaître ici ou là des visages, se rassurer de leur présence et s’en servir comme des jalons de son propre territoire, un territoire qui passera pourtant progressivement de chez soi à l’étranger, mais en douceur et sans rupture, en s’avançant dans la pénombre. L’habitant prendrait toute détermination pour une manie de touriste, ou d’urbaniste doté de bien mauvaises intentions : la rue d’à côté est la rue d’à côté, la rue d’en face, la rue d’en face, leurs noms exacts sont affaire de malle-poste, d’avis d’imposition et des querelles de cadastres qu’on déplie sur place pour départager les héritiers. Chez soi et son quartier est ce lieu où l’on règne sans avoir toujours à connaître les latitudes et les longitudes : on y règne approximativement, nonchalamment, avec l’assurance peut-être naïve de n’avoir de compte à rendre à personne. L’exploration du monde par le sédentaire se fait au moyen d’une imagination plus ou moins habile, de ses innombrables et prodigues préjugés, de connaissances tronquées, mal rapportées, mêlées à d’autres, battues comme des cartes ou comme des œufs (au mieux, au pire) : la Chine n’est pas un non-lieu, elle demeure la Chine même sous son déguisement de Chine de légende et de guide de voyage; et les Antipodes composent avec ce qu’ils sont réellement et ce que l’on invente en leur hommage, pour en être digne.
Pierre SENGES, Environs et mesures
•
Ma pensée à la forme du paysage
Je suis des lieux, je suis une expérience
Nous sommes, sommes de lieux, topologies
Le monde est la somme des projections de nos mondes intérieurs
Les lieux nous sont ce que nous en percevons
Dans l’emboitement désordonné de la ville
Quels espaces agissent sur mon être sensible ?
Je suis là, au monde, parce que le monde m’émeut
écouter le territoire, entrer dans l’incommensurable de l’espace
———-
vracs d’après lectures de Donner lieu au monde : LA POÉTIQUE DE L’HABITER, A. Berque, A. de Biase et P. Bonnin (dir), Editions Donner lieu
J’ai étudié Giono, son Voyage en Italie – « Machiavel, Machiavel » -, un des rares voyages qu’il fît, si je me souviens bien, il y a quelques années. Fouillassant chez mes parents je mets la mains sur ce petit fascicule intitulé Basses Alpes et sur ces deux départs de textes.
Le département des Basses-Alpes est à la fois d’une très grande diversité et d’une unité fort solide. Il est constitué par l’amas compact des montagnes et des collines de haute et moyenne altitude, s’avançant des Alpes vers la vallée du Rhône et vers la mer. Il n’y a pas de plaines proprement dites. Seules, le long des torrents qui l’irriguent et le dévastent, des terres plates portent les vergers et les champs.
Jean GIONO, Basses Alpes, Haute Provence
« 04 », c’est un territoire réel, un département français, les Basses-Alpes. Nous n’allons pas énumérer ses piscines. Nous montrerons simplement sa beauté.
On s’aperçoit d’abord que ces Basses-Alpes n’étaient pas si basses. Elles participent à la fois des gloires de la Provence et de la noblesse des montagnes. Leurs vallées, leurs collines, leurs plateaux ont ce double caractère, mais elles les confondent dans une âme personnelle.
Jean GIONO, « 04 »
Calme défi vacher,
eaux lisses aux faux airs de goudron,
friche lacustre en mal de castors,
Il fallait bien enjamber ce maelström.
Hervé JEANNEY
tient un blog :
« L’oeil ne se voit pas lui-même »
Chaque premier vendredi du mois, on peut vases communiquer avec des blogs amis (voir “vases communicants« ). Ici & aujourd’hui entre Belfort & Vesoul, donc.
Dans ce mot «géopoétique» est contenue l’idée que l’on peut localiser la pensée, relier territoire et pensée, nature et culture. Si notre culture et notre civilisation sont à l’heure actuelle tellement creuses, c’est justement parce que nous avons perdu ces liens. Il s’agit donc d’essayer de lier la pensée plus exigeante au lieu le plus fort, le plus intense matériellement.
Kenneth WHITE in Entretien avec Gilles Farcet, in Le Poète cosmographe
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.