
Le texte suivant est issu d’une étude accompagnant le recueil de haïkus de Nicolas Grenier intitulé Palais de l’Elysée, Hotel de matignon, Ministère des affaires étrangères, et autres lieux de pouvoir de la République française en Haikus publié aux éditions Circulaire en juillet 2015.
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1. FRANCHIR LES SEUILS
Franchir les seuils,
fendre l’espace,
l’espace public et entrer dans l’espace public privé, par la porte de derrière.
entrer dans les lieux de la politique -hauts lieux-,
dans les interstices du pouvoir,
dans l’espace inaccessible où se décide l’histoire publique.
en tirer l’atmosphère, en observer des petits riens.
en saisir le fugitif, l’éphémère,
le fragile de l’instant.
Les lieux du politique, ses micros-lieux quotidiens.
Car ces lieux exceptionnels sont le quotidien de certains.
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1-2. POLITIQUE & POETE
Les politiques tentent la poésie, parfois.
Le poète tente-t-il la politique ?
Par des haïkus
l’esprit médiateur du haijin
de l’imaginaire au pouvoir,
et inversement.
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- LE BLANC ENTRE LES FRAGMENTS
Nicolas Grenier nous offre une balade contemplative dans les lieux de pouvoir. Une balade lente dans chacun des lieux. Une balade en cinq instantanés à partir desquels nous reconstruisons le lieu, en complétant à notre guise le blanc entre les fragments.
Douze lieux aussi, comme un tour de pendule, cercle qui donne à voir, mais qui est tout autant ce qui ne se voit pas.
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- ENTRER DANS LE LIEU PAR ÉTAPES
Zoom / travelling avant
Entrer dans le lieu par étapes,
par petites touches qui donnent au final une impression d’ensemble,
qui sont une évocation de l’identité du lieu en dehors de son référent politique.
Le choix d’une pièce – prenons le bureau d’une ministre
Depuis mon bureau
Je contemple le miroir
Où l’éternité
(Ministère de la culture)
ou d’un élément architectural, si ce n’est secret –secret car nous n’y allons pas dans ces lieux- du moins discret –discret car propriété de rares regards choisis ou privilégiés.
Plonger, donc, dans une micro-géographie, celle du détail.
Puis Nicolas Grenier le déploie, ce lieu, ce détail ;
il lui donne vie, il nous le révèle dans un haïku.
Le choix d’un élément dans la pièce – prenons la pendule
Au salon Murat
La pendule oublie le temps
La nuit n’est que jour
(Elysée)
Une pendule qui apporte, inconsciemment, au lecteur (comme au Conseil des ministres), un mouvement dans la pièce, un son en happening répétitif, et fait entrer le temps dans la géographie.
Emboîtement d’échelles : Le bâtiment, une pièce, un micro-lieu de la pièce.
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- CES LIEUX DENUDES DE LA POLITIQUE
Ces lieux de pouvoir,
ces hypercentres du pays,
l’auteur nous propose de les aborder sans leur dimension de pouvoir ;
l’auteur nous donne à voir ce qu’il reste de ces lieux nus de fonction politique.
Car aucune référence à la politique dans les haïkus présentés ici, juste les décors dans lesquels la politique s’élabore et dans lesquels les hommes et femmes politiques se meuvent, voir s’émeuvent.
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6. SITUATION
Le premier haïku présenté pour chacun des lieux est le plus souvent un poème de localisation, et l’adresse du lieu peut faire partie prenante du poème.
Ce premier haïku, sorte de porte d’entrée, de poème-seuil, est un élément qui relie le lieu à la ville, qui intègre le lieu dans la ville
Rue de Vaugirard
Ligne blanche en pointillé
J’esquisse la toile
(Sénat)
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11. ELEVATION DE L’ESPACE
L’architecture -donc l’élévation de l’espace- rythme -et le temps met en valeur l’espace : imaginer les jeux d’ombres évoluant au fil des heures-, fait vibrer le territoire
Jusqu’à perdre haleine
Je cours le long des colonnes
Entre ombre et lumière
(Conseil économique et social)
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12-2. L’ESPRIT EN BALADE
Les pieds ancrés dans le lieu n’empêchent pas l’esprit de partir en balade, de s’éloigner des lambris dorés
Aile ouest du palais
Je divague comme un sage
Dans la cour pavée
(Sénat)
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14-1. UN LIEU, C’EST DU TEMPS EMPILE
Des lieux de l’histoire discrète
Un lieu, c’est du temps empilé. Un lieu est chargé de temps. Génie du lieu
Face à l’escalier
Dans un vertige je songe
A l’éternité
(Conseil économique et social)
A tout ce qui (s’)est passé là, ajouterais-je.
Le lieu permet d’appréhender le temps, d’évoquer l’histoire.
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15-2. (ESPERONS TOUJOURS L’INFLUENCE DE LA CULTURE SUR LA POLITIQUE)
Dépourvus de politique, a priori, ces poèmes de Nicolas Grenier. Mais si nous admettons le lieu chôra, le lieu « dépend des choses, les choses en dépendent »[1]. Le territoire est peut-être le résultat de ces allers-retours entre le Génie de ce lieu et l’homme qui le fréquente d’une façon ou d’une autre. Et si l’épaisseur culturelle influait sur la construction de l’identité d’un homme ou d’un groupe humain. La politique, le territoire, la France, sont peut-être le résultat de cette pendule, de ce tableau d’Alechinsky (espérons toujours l’influence de la culture sur la politique – et de la poésie sur l’homme de pouvoir), du vent sous les arcades que nous évoque Nicolas Grenier, Nicolas le haijin.
N. GOBENCEAUX
Les textes en italiques (haïkus) sont de Nicolas Grenier
[1] Augustin Berque, « ‘Lieu’ 1. », EspacesTemps.net, Livres, 19.03.2003
http://www.espacestemps.net/articles/lsquolieursquo-1/
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