Il y a quelques mois-1an, Virginie Gautier m’a invité dans le cadre de sa résidence à Grand Lieu (44). J’ai, à cette occasion, composé un texte sur la dimension géographique de ses différents livres. Nous nous sommes promené sous la pluie, avons vu le lieu, avons discuté, regardé des dessins. J’ai essayé de copier ses dessins, ses lignes du monde, lignes-forces du paysage ; je n’y suis pas arrivé de façon satisfaisante (on a toujours tendance à en faire trop, des lignes). Et puis, fin 2015, le livre arrive, hâte de lire ce qu’elle a retenu de ce paysage, content d’y retrouver les dessins (et un protagoniste peintre Dessiner, se dit-il, est nécessaire pour affiner le voir) aussi. Livre touffu, un peu comme une végétation luxuriante. Et la géographie : vues aériennes / espace vécu – espace sensible / discontinuités / île / regarder – dessiner / centre-périphérie (sous l’angle du bruit décroissant).
Lu la planète-île de Laure Morali. Pris l’air donc, au bout ou y’a encore du bout à n’en plus finir cette terrasse au bout du monde, mais c’est quoi le bout du monde, certainement pas sa fin ou son début ou quoi que ce soit […]. Le finistère n’est pas une fin en soit, c’est le début d’un autre monde, juste ; un monde entre rêve et voyage ; imagination et ailleurs. Poncif mais ainsi. Prends le rouleau de la vague, porté par l’écume le ressac et c’est déjà l’Amérique.
L’eau, l’air, la terre réinventent plusieurs fois par jour leurs combinaisons aux possibilités infinies selon les marées, les dépressions, les anticyclones, les équinoxes, les solstices, les courants, les glaciations puis les fontes, le passage des oiseaux et des hommes migrateurs, les flux de l’eau douce vers l’eau salée, les éclipses. Ils façonnent une œuvre chaotique éclatante, la délicatesse de la dentelle appliquée à la force mâle des rochers.
Cette île est une planète.
[…] dans la ville quadrillée par les lettres de l’alphabet […]
Un goéland nous suivait, ramenant dans ses plumes la lumière cachée, nageait, les pattes palmées coulissantes, sentait les courants glisser des fjords du Saguenay à ceux du cap Horn, les trois-mâts barques en maquette zigzaguant sous le 50ème parallèle, lui s’en souvenait, le goéland notre phare immobilisait le temps, repliait les cartes jusqu’à faire coïncider les latitudes sud et nord, le début du 20ème et celui du 21ème siècle, […].
Tout le monde est d’accord pour dire que l’île cache un aimant et que cet aimant nous piège. Que peut-on faire pour ne pas ignorer que le monde s’agrandit autour de nous ? Il est rassurant de rester. Il est impossible de rester.
L’attachement que j’éprouve envers mon île n’a pas grand-chose à voir avec l’enfance finalement, il se résume au soleil. On le voit bien d’ici, on ne le perd jamais de vue.
cette terrasse au bout du monde, mais c’est quoi le bout du monde, certainement pas sa fin ou son début ou quoi que ce soit […].
Laure MORALI, Comment va le monde avec toi
Michel Butor connaît bien Genève. Il y a habité, il y a enseigné. Michel Butor y a observé les années, la ville et ses évolutions. Comme toujours, cultivé philosophe et géo-graphe il note.
l’île Rousseau
le bord de l’eau est un point de concentration naturel. Le périmètre d’une île impose à tous ses habitants une limite qu’ils ne pourront franchir qu’en s’entendant c’est dans une île qu’on peut espérer recommencer l’Histoire humaine, et c’est parce que la Corse est une Île que Rousseau essaiera d’y appliquer déjà les principes du contrat social. Mais, dira-t-on, une île est le contraire d’un lac! Et certes, il est très important que l’île soit absente du centre du lac de Genève. Nous en retrouverons lorsque le lac redevient Rhône, le petit archipel aménagé dans Genève même. Il est très important qu’au centre il faille suppléer une Île inventée (et c’est sans doute une des raisons qui lui ont fait préférer son lac natal au lac de Garde), mais les rives du lac jouent un rôle similaire à celui des rivages insulaires: elles opposent une frontière à la dispersion, obligent l’homme à s’accumuler. elles sont donc des lieux de naissance du langage de la société. L' »homme naturel » est englouti au fond du lac ; le bord du lac est la figure et le lieu de son émergence hors de l’animalité. Revenir au bord du lac, c’est revenir à l’invention du langage.
Michel BUTOR dans Genève dans son changement