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LES LIGNES DU MONDE – géographie & littérature(s)

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Honoré de BALZAC

Portrait de Balzac en géo-graphe (16) : LE VOYAGE DANS L’ŒUVRE DE BALZAC (6)

Les lieux de La Comédie humaine / abrégé de géographie des romans de Balzac

La géographie a son importance dans La Comédie humaine, et Balzac en a bien conscience lorsqu’il annonce, dans l’Avant-propos

J’ai tâché de donner une idée des différentes contrées de notre beau pays. Mon ouvrage a sa géographie comme il a sa généalogie et ses familles, ses lieux et ses choses, ses personnes et ses fait.

La géographie de La Comédie humaine est avant tout parisienne puis, en grande partie, a pour support la moitié nord de la France, avec quelques excursions à l’étranger proche (Suisse, Italie, Allemagne, Belgique)

 

Les intrigues se déroulent pour la plupart en France et principalement à Paris. Mais la province est néanmoins essentielle pour la démonstration d’une opposition entre la vie parisienne et la vie provinciale.

L’un des objectifs de La Comédie humaine étant de décrire de manière le plus exhaustive possible la société de la première moitié du XIXè siècle (l’écrivain s’annonce à un moment historien des mœurs), Balzac essaye donc de s’intéresser à tous les espaces qui la compose comment en témoigne les titres de certaines parties : Scènes de la vie parisienne, Scène de la vie de province, Scène de la vie de campagne, Scènes de la vie privée.

Souvent, lorsque Balzac consacre une partie conséquente d’un roman à la province, c’est pour évoquer l’ascension d’un provincial à Paris (on peut citer Illusions perdues ou La Muse du département).

La géographie romanesque Balzac se calque en grande partie sur sa propre géographie. Il nourrit sa connaissance de la province notamment grâce à ses voyages : La Rabouilleuse à Issoudun et Illusions perdues à Angoulême (régions de l’amie Zulma Carraud), La Femme abandonnée et L’Enfant maudit à Bayeux (ville où a habité sa sœur Laure), Béatrix à Guérande, Albert Savarus à Besançon ou encore Le Médecin de campagne à La Grande Chartreuse (autres lieux où il voyage) et la Touraine natale où il séjourne une dizaine de fois à l’âge adulte (Le Lys dans la vallée, La Grenadière, Le Curé de Tours…).

Les œuvres dont les intrigues se déroulent à l’étranger sont, sinon rares, du moins peu nombreuses. La plupart d’entre elles sont classées dans ses Études philosophiques (Massimilla Doni se déroule à Venise, Sarrasine à Rome, L’Élixir de longue vie à Ferrare, L’Auberge rouge en Allemagne, Jésus-Christ en Flandres en Belgique, Albert Savarus en partie en Suisse, Séraphîta en Norvège, El Verdugo en Espagne).

Quant aux très grands voyages, ils ne sont pas complétements oubliés par l’auteur, mais ce sont des voyages hors du livre. Les personnages sortent alors du cadre du récit, et leurs voyages ne sont qu’à peine évoqués.

Si on peut dire que l’écrivain à une connaisssance géographique parfois assez peu précise – « Pour [Balzac], l’Orient est un monde sans délimitation géographique précise ; dans son esprit, « l’Asie et l’Orient se recouvrent largement » [cf P. Citron]. » – on peut néanmoins noter que les personnages de Balzac visitent presque tous les continents

Charles Mignon va à Canton dans Modeste Mignon

Philippe Bridau va à New-York et en Algérie dans La Rabouilleuse

Paul de Manerville à Calcutta, Montriveau en Haute-Egypte et en Afrique centrale (pour suivre les conquêtes napoléoniennes)….

Charles Grandet va à Java dans Eugénie Grandet

Charles devint dur, âpre à la curée. Il vendit des Chinois, des Nègres, des nids d’hirondelles, des enfants, des artistes ; il fit l’usure en grand. L’habitude de frauder les droits de douane le rendit moins scrupuleux sur les droits de l’homme. Il allait alors à Saint-Thomas acheter à vil prix les marchandises volées par les pirates, et les portait sur les places où elles manquaient. Si la noble et pure figure d’Eugénie l’accompagna dans son premier voyage comme cette image de Vierge que mettent sur leur vaisseau les marins espagnols, et s’il attribua ses premiers succès à la magique influence des voeux et des prières de cette douce fille ; plus tard, les Négresses, les Mûlatresses, les Blanches, les Javanaises, les Almées, ses orgies de toutes les couleurs, et les aventures qu’il eut en divers pays effacèrent complétement le souvenir de sa cousine, de Saumur, de la maison, du banc, du baiser pris dans le couloir. Il se souvenait seulement du petit jardin encadré de vieux murs, parce que là sa destinée hasardeuse avait commencé ; mais il reniait sa famille : son oncle était un vieux chien qui lui avait filouté ses bijoux ; Eugénie n’occupait ni son coeur ni ses pensées, elle occupait une place dans ses affaires comme créancière d’une somme de six mille francs. Cette conduite et ces idées expliquent le silence de Charles Grandet. Dans les Indes, à Saint-Thomas, à la côte d’Afrique, à Lisbonne et aux Etats-Unis, le spéculateur avait pris, pour ne pas compromettre son nom, le pseudonyme de Sepherd. Carl Sepherd pouvait sans danger se montrer partout infatigable, audacieux, avide […]

Eugénie Grandet

Si certains personnages des romans de Balzac font de long voyages, la plupart de ses personnages font des voyages relativement communs dans leurs modes de transports.

Portrait de Balzac en géo-graphe (15) : LE VOYAGE DANS L’ŒUVRE DE BALZAC (5)

Voyages imaginés & imaginaires

Honoré de Balzac écrit souvent sur des lieux qu’il connait, où il est passé. Mais pas que. Dans certains romans il évoque des régions qu’il n’a vraisemblablement fréquenté que dans les dictionnaires, atlas ou par ouïe dire. C’est par exemple le cas de L’Auberge Rouge (1831) et de Séraphîta (1835). Par l’ironie du sort, ce sont ici 2 pays qu’il a approché par la suite. Respectivement l’Allemagne et la Norvège observée depuis le bateau pour Saint-Pétersbourg.

Ces côtes de Norvège, Balzac doit donc les rêver sur la carte :

À voir sur une carte les côtes de la Norvège, quelle imagination ne serait émerveillée de leurs fantasques découpures, longue dentelle de granit où mugissent incessamment les flots de la mer du Nord ? Qui n’a rêvé les majestueux spectacles offerts par ces rivages sans grèves, par cette multitude de criques, d’anses, de petites baies dont aucune ne se ressemble et qui toutes sont des abîmes sans chemins ? Ne dirait-on pas que la nature s’est plu à dessiner par d’ineffaçables hiéroglyphes le symbole de la vie norvégienne, en donnant à ces côtes la configuration des arêtes d’un immense poisson ? Car la pêche forme le principal commerce et fournit presque toute la nourriture de quelques hommes attachés comme une touffe de lichen à ces arides rochers. Là, sur quatorze degrés de longueur, à peine existe-t-il sept cent mille âmes.

Séraphîta

Il ne les découvre en vrai qu’en 1843.

D’autres lieux de romans ne seront jamais visités par Balzac comme l’Espagne d’El Verdugo (Menda, une ville inventée ?) ou Des Marana (Tarragone).

Dans la bibliographie de Balzac, un ouvrage plus particulièrement fait figure d’hapax : Voyage de Paris à Java (1832). Voyage imaginaire, car Balzac n’est bien entendu jamais allée à Java.

Je me suis laissé aller à mes fantaisies. J’ai vu tout en amateur et en poète. Il serait possible que j’eusse jugé les Javanaises comme cet Anglais jugea les femmes de Blois, d’après un seul échantillon. Mais si je mens, c’est de la meilleure foi du monde.

Pour se saisir de l’idée, du texte, il écoute, en décembre 1831 chez son amie Zulma Carraud – à Angoulême, un commissaire aux poudres (Monsieur Grand-Besançon) raconter ses aventures javanaises.

Dans ce Voyage de Paris à Java, qui évoque plus une Java imaginaire que le voyage-déplacement pour s’y rendre, “plus qu’à la visite d’une île, Balzac nous invite […] à découvrir les territoires qui peuplent son imaginaire.” (P. Citron). Tout commence en Touraine, lorsque le narrateur fait se rejoindre Inde et Indre :

Un jour, en novembre 1831, au sein d’une des plus belles vallées de Touraine, où j’avais été pour me guérir de mon idée fixe, et par une ravissante soirée où notre ciel avait la pureté des ciels italiens, je revenais, gai comme un pinson, du petit castel de Méré, jadis possédé par Tristan, lorsque je fus arrêté soudain, à la hauteur du vieux château de Valesne, par le fantôme du Gange, qui se dressa devant moi !… Les eaux de l’Indre s’étaient transformées en celle de ce vaste fleuve indien. Je pris un vieux saule pour un crocodile, et les masses de Saché pour les élégantes et sveltes constructions de l’Asie… Il y avait un commencement de folie à dénaturer ainsi les belles choses de mon pays : il fallait y mettre ordre.

L’Orient est à la mode à cette époque. Il y a ceux qui font le voyage et ceux qui rêvent le voyage. Balzac fait partie des seconds, avec une géographie confuse. “Pour [Balzac], l’Orient est un monde sans délimitation géographique précise ; dans son esprit, “ l’Asie et l’Orient se recouvrent largement ” [P. Citron]. ” Il nourrit son imaginaire de lectures, il fait notamment un compte-rendu du livre d’Auguste Borget intitulé La Chine et les chinois. Il en résulte des lieux communs et caricatures que l’on retrouve dans le Voyage de Paris à Java.

Portrait de Balzac en géo-graphe (14) : LE VOYAGE DANS L’ŒUVRE DE BALZAC (4)

Des lieux d’après des voyages réels

Balzac ne voyage que peu pour les besoins de ses romans. Il fait quelques très rares voyages de reconnaissance de terrain. Nous pouvons citer son premier roman qu’il a écrit sous le nom de Balzac : Les Chouans. Balzac se rend alors à Fougères, chez le Général de Pommereul, à l’automne 1828, pour travailler à ce roman dont le titre de l’édition originale est un peu à rallonge : Le Dernier chouan ou la Bretagne en 1800.

Relevons aussi qu’à l’été 1842, il se rend à Arcis sur Aube pour prendre des renseignements en vue de la rédaction du Député d’Arcis. Les voilà, principalement, ses voyages d’études.

De Pont-de-Ruan à La Grande Chatreuse

Plus souvent, c’est l’étude qui suit le voyage. Balzac voyage à Guérande, puis trouve cela bien d’y situer Béatrix. Il se souvient aussi du Croisic pour Un drame au bord de la mer. Ou encore la première version du Médecin de campagne (paru en 1833) –s’intitulant alors Une Scène de village– qui doit se dérouler en Touraine, aux environs de Pont de Ruan :

J’avais entrepris d’aller à pied de Tours à Saché, vieux reste de château, qui se recommande chaque année à ma mémoire par des souvenirs d’enfance et d’amitié, mais la chaleur était si forte, le sol si brûlant, que, malgré ma volonté de faire le chemin d’une seule traite, par gageur avec moi-même, je fus forcé de m’arrêter à Pont-de-Ruan, vers dix heures et demie, au moment où les gens de la campagne, endimanchés, allaient à la messe. J’avais bien peu de chances de trouver une ménagère au logis ; et dans cette heure de soif suprême, j’eusse payé cher une tasse de lait froid. […]

épreuve corrigée datée de 1831

Balzac ayant fait le voyage en Dauphiné y transpose l’action de son roman, du côté de la Grande Chartreuse.

Venise

On peut aussi imaginer que le voyage d’Italie de 1837 a pu être utile à Balzac pour la rédaction de son roman Massimilia Doni (à partir de 1837).

Venise est le lieu principal de cette histoire. Balzac évoque, dès les premières lignes, la ville comme un :

[…] débris de la Rome impériale et chrétienne qui se plongea dans les eaux pour échapper aux Barbares […].

Il rappelle aussi que tout a été dit, et qu’il ne veut pas recommencer (égratignant au passage les voyageurs et leurs récits) :

Destinées à justifier l’étrangeté des personnages en action dans cette histoire, ces réflexions n’iront pas plus loin, car il n’est rien de plus insupportable que les redites de ceux qui parlent de Venise après tant de grands poètes et tant de petits voyageurs.

Mais Balzac n’a pas été conquis immédiatement par cette ville :

Nous sommes arrivés ici ce matin, mon compagnon de voyage et moi, escortés par une pluie à verse qui ne nous avait pas quittés depuis Vérone, en sorte qu’il était difficile que je ne visse pas Venise sortant des eaux. Si vous me permettez d’être sincère et si vous voulez ne montrer ma lettre à personne, je vous avouerai que sans fatuité ni dédain, je n’ai pas reçu de Venise l’impression que j’en attendais, et ce n’est pas faute d’admirer des tas de pierres et les œuvres humaines, car j’ai le plus saint respect pour l’art ; […]. Puis, j’avais tant vu de marbres sur le Dôme que je n’avais plus faim des marbres de Venise. Les marbres de Venise sont une vieille femme qui a dû être belle et qui a joui de tous ses avantages, […]. Enfin, la pluie mettait sur Venise un manteau gris qui pouvait être poétique pour cette pauvre fille qui craque de tous côtés et qui s’enfonce d’heure en heure dans la tombe, mais il était très peu agréable pour un Parisien qui jouit, les deux tiers de l’année, de cette mante de brouillards et de cette tunique de pluie. Il est un point qui me ravit, c’est le silence de cette moribonde, et cela seul me ferait aimer l’habitation de Venise et va à mes secrètes inclinations, qui, malgré les apparences, tendent à la mélancolie…

lettre à C. Maffei, 1837

Impression qu’il ne tient pas longtemps, puisqu’écrivant 5 jours après ceci à la même Contessina :

Cara Contessina, j’ai tout à fait changé d’opinion sur la belle Venise que je trouve tout-à-fait digne de son nom. Depuis jeudi jusqu’à aujourd’hui que le temps menace de se brouiller et de me rendre pour mon retour l’horrible pluie que j’ai eue pour venir, nous avons eu le vrai soleil de l’Italie et le plus beau ciel du monde […].

lettre à C. Maffei, 1837

 

Le Lac des Quatre-Cantons

La Suisse est une running-destination pour Balzac ; un point d’arrivée ou passage régulièrement emprunté pour aller vers l’Italie. Dans le déjà cité Albert Savarus, une histoire dans l’histoire (qui elle a pour cadre Besançon) se déroule sur les rives du lac des Quatre-Cantons.

Ce lac des Quatre-Cantons, Balzac y passe en 1837. Albert Savarus parait en 1842.

Cela commence comme un récit de voyage, mais voyage pour mieux s’arrêter dans un endroit où va se dérouler l’histoire.

En 1823, deux jeunes gens qui s’étaient donné pour thème de voyage de parcourir la Suisse, partirent de Lucerne par une belle matinée du mois de juillet, sur un bateau que conduisaient trois rameurs, et allaient à Fluelen en se promettant de s’arrêter sur le lac des Quatre-Cantons à tous les lieux célèbres. Les paysages qui de Lucerne à Fluelen environnent les eaux, présentent toutes les combinaisons que l’imagination la plus exigeante peut demander aux montagnes et aux rivières, aux lacs et aux rochers, aux ruisseaux et à la verdure, aux arbres et aux torrents. C’est tantôt d’austères solitudes et de gracieux promontoires, des vallées coquettes et fraîches, des forêts placées comme un panache sur le granit taillé droit, des baies solitaires et fraîches qui s’ouvrent, des vallées dont les trésors apparaissent embellies par le lointain des rêves.

En passant devant le charmant bourg de Gersau, l’un des deux amis regarda longtemps une maison en bois qui paraissait construite depuis peu de temps, entourée d’un palis, assise sur un promontoire et presque baignée par les eaux. Quand le bateau passa devant, une tête de femme s’éleva du fond de la chambre qui se trouvait au dernier étage de cette maison, pour jouir de l’effet du bateau sur le lac. L’un des jeunes gens reçut le coup d’oeil jeté très indifféremment par l’inconnue.

Albert Savarus

Portrait de Balzac en géo-graphe (13) : LE VOYAGE DANS L’ŒUVRE DE BALZAC (3)

Les modes de transports en communs dans La Comédie humaine

En diligence

À l’époque, le moyen de transport commun, pour les longues distances, est encore la diligence. Fatigant, Balzac le fait remarquer dans sa correspondance

Ma chère mère, je suis arrivé à bon port, mais horriblement fatigué. L’on demandait les passeports à tous les endroits où il y avait de la gendarmerie. Aujourd’hui, je suis reposé ; cependant, je me sens encore quelques contusions, principalement au bras gauche, il y a certains mouvements qu’il m’est impossible de faire. Mais enfin, je suis ici, bien reposé maintenant ; deux jours ont à peine suffi.

lettre à sa mère, Saché, 10 juin [1832]

Le déplacement en voiture à cheval est fréquent dans les romans de Balzac. Même s’il n’est pas forcément détaillé.

Un cas de voyage de ce type est curieusement utilisé et réutilisé. Dans La Rabouilleuse (où l’on se déplace pas mal entre Paris et Issoudun) Balzac fait dire ceci à l’un de ses personnages, peintre en devenir

— Malheureusement je ne suis encore connu que des peintres. Je suis appuyé par Schinner qui doit me procurer des travaux au château de Presles où j’irai vers octobre faire des arabesques, des encadrements, des ornements très bien payés par le comte de Sérizy.

Ce trajet, qui tient en une ligne de projection ici, fait l’objet d’un roman-diligence, plutôt important en taille : Un début dans la vie. Ce texte est un des rares récits de voyages (petit voyage de quelques dizaines de kilomètres), mais romancé, de Balzac (notons l’autre –court- roman-diligence Le Message. Et encore, ce qui importe n’est pas ce que les voyageurs peuvent apercevoir par la fenêtre mais bien le drame-mascarade qui se déroule dans la voiture. Balzac en profite pour expliquer comment fonctionnent ces diligences

La voiture à Pierrotin et celle de son camarade desservaient Stors, le Val, Parmain, Champagne, Mours, Prérolles, Nogent, Nerville et Maffliers. Pierrotin était si connu, que les habitants de Monsoult, de Moisselles et de Saint-Brice, quoique situés sur la grande route, se servaient de sa voiture, où la chance d’avoir une place se rencontrait plus souvent que dans les diligences de Beaumont, toujours pleines. Pierrotin faisait bon ménage avec sa concurrence. Quand Pierrotin partait de l’Isle-Adam, son camarade revenait de Paris, et vice versâ. Il est inutile de parler du concurrent, Pierrotin avait les sympathies du pays. Des deux messagers, il est d’ailleurs le seul en scène dans cette véridique histoire. Qu’il vous suffise donc de savoir que les deux voituriers vivaient en bonne intelligence, se faisant une loyale guerre, et se disputant les habitants par de bons procédés. Ils avaient à Paris, par économie, la même cour, le même hôtel, la même écurie, le même hangar, le même bureau, le même employé. Ce détail dit assez que Pierrotin et son adversaire étaient, selon l’expression du peuple, de bonnes pâtes d’hommes.

Cet hôtel, situé précisément à l’angle de la rue d’Enghien, existe encore, et se nomme le Lion-d’Argent. Le propriétaire de cet établissement destiné, depuis un temps immémorial, à loger des messagers, exploitait lui-même une entreprise de voitures pour Dammartin si solidement établie que les Touchard, ses voisins, dont les Petites-Messageries sont en face, ne songeaient point à lancer de voiture sur cette ligne.

Quoique les départs pour l’Isle-Adam dussent avoir lieu à heure fixe, Pierrotin et son co-messager pratiquaient à cet égard une indulgence qui leur conciliait l’affection des gens du pays, et leur valait de fortes remontrances de la part des étrangers, habitués à la régularité des grands établissements publics ; mais les deux conducteurs de cette voiture, moitié diligence, moitié coucou, trouvaient toujours des défenseurs parmi leurs habitués. Le soir, le départ de quatre heures traînait jusqu’à quatre heures et demie, et celui du matin, quoique indiqué pour huit heures, n’avait jamais lieu avant neuf heures. Ce système était d’ailleurs excessivement élastique. En été, temps d’or pour les messagers, la loi des départs, rigoureuse envers les inconnus, ne pliait que pour les gens du pays. Cette méthode offrait à Pierrotin la possibilité d’empocher le prix de deux places pour une, quand un habitant du pays venait de bonne heure demander une place appartenant à un oiseau de passage qui, par malheur, était en retard. Cette élasticité ne trouverait certes pas grâce aux yeux des puristes en morale ; mais Pierrotin et son collègue la justifiaient par la dureté des temps, par leurs pertes pendant la saison d’hiver, par la nécessité d’avoir bientôt de meilleures voitures, et enfin par l’exacte observation de la loi écrite sur des bulletins dont les exemplaires excessivement rares ne se donnaient qu’aux voyageurs de passage assez obstinés pour en exiger.

Un début dans la vie

Il arrive aussi à notre écrivain de profiter du déplacement de certains de ses personnages pour émettre des appréciations sur le réseau routier et une certaine géopolitique de l’époque

La décadence d’Issoudun s’explique donc par l’esprit d’immobilisme poussé jusqu’à l’ineptie et qu’un seul fait fera comprendre. Quand on s’occupa de la route de Paris à Toulouse, il était naturel de la diriger de Vierzon sur Châteauroux, par Issoudun. La route eût été plus courte qu’en la dirigeant, comme elle l’est, par Vatan. Mais les notabilités du pays et le conseil municipal d’Issoudun, dont la délibération existe, dit-on, demandèrent la direction par Vatan, en objectant que, si la grande route traversait leur ville, les vivres augmenteraient de prix, et que l’on serait exposé à payer les poulets trente sous. On ne trouve l’analogue d’un pareil acte que dans les contrées les plus sauvages de la Sardaigne, pays si peuplé, si riche autrefois, aujourd’hui si désert.

La Rabouilleuse

En bateau

Quasiment exhaustif dans les moyens de transport, Balzac utilise aussi le bateau pour véhiculer ses personnages. Des petits bateaux, la toue pour franchir  l’Indre (encore Le Lys dans la vallée),

– une promenade en barque dans Albert Savarus (cela se déroule en Suisse)

Le soir, il se promena naturellement en bateau sur le lac, autour de ce promontoire, il alla jusqu’à Brünnen, à Schwitz, et revint à la nuit tombante.

– des bateaux un peu plus grands dans Jésus-Christ en Flandre.

La barque qui servait à passer les voyageurs de l’île de Cadzant à Ostende allait quitter le rivage. Avant de détacher la chaîne de fer qui retenait sa chaloupe à une pierre de la petite jetée où l’on s’embarquait, le patron donna du cor à plusieurs reprises, afin d’appeler les retardataires, car ce voyage était son dernier. La nuit approchait, les derniers feux du soleil couchant permettaient à peine d’apercevoir les côtes de Flandre et de distinguer dans l’île les passagers attardés, errant soit le long des murs en terre dont les champs étaient environnés, soit parmi les hauts joncs des marais. (Jésus-Christ en Flandre)

On sait que Balzac passe en Belgique au moins 2 fois. Il n’en reste que peu de chose dans ses lettres, des évocations succinctes souvent liée à ce petit roman, finalement seul écrit conséquent sur cette région.

– de vrais transporteurs sur le fleuve Loire, à l’époque navigable et vecteur de communication encore emprunté. Balzac lui-même descend la Loire avec Madame de Berny lors de l’été 1830.

Figurez- vous ensuite que j’ai fait le plus poétique voyage qui soit possible en France ! Aller d’ici au fond de la Bretagne, à la mer, par eau, pas cher, trois ou quatre sous par lieue, en passant par les plus riantes rives du monde ; je sentais mes pensées grandir avec ce fleuve, qui, près de la mer, devient immense. Oh ! mener une vie de Mohican, courir sur les rochers, nager en mer, respirer en plein air le soleil ! Oh ! que j’ai conçu le sauvage ! Oh ! que j’ai admirablement compris les corsaires, les aventuriers, les vies d’opposition; et là, je médisais : « La vie, c’est du courage, de bonnes carabines, l’art de se diriger en pleine mer et la haine de l’homme (de l’Anglais par exemple) « Oh I trente gaillards qui s’entendraient… et mettraient bas les préjugés comme M. Kernock ».

lettre à Victor Ratier, La Grenadière, 21 juillet 1830

Ils vont de Tours au Croisic, visitant au passage Batz-sur-mer et Guérande ; ces visites procurent à Balzac de la matière pour certains romans comme  Béatrix (Guérande) et Un Drame au bord de la mer (Le Croisic / Batz-sur-Mer).

Le voyage en bateau peut être encore dangeureux. Quelques accidents de chaudières marquent les esprits, notamment celui de Balzac puisqu’à la toute fin d’Albert Savarus, un personnage, Mademoiselle de Watteville, subit une expolsion similaire

Par un de ces hasards auxquels le vieil abbé de Grancey avait fait allusion, elle se trouva sur la Loire dans le bateau à vapeur dont la chaudière fit explosion. Mademoiselle de Watteville fut si cruellement maltraitée qu’elle a perdu le bras et la jambe gauche ; son visage porte d’affreuses cicatrices qui la privent de sa beauté ; sa santé soumise à des troubles horribles lui laisse peu de jours sans souffrance.

Toutefois, ce moyen de transport, maritime ou fluvial est rarement développé dans La Comédie humaine.

En train

Le train est lui aussi peu utilisé par les personnages de Balzac. C’est un moyen de transports qui apparaît à peine, mais se développe fortement en France dans les années 1840. La ligne Paris-Tours est inaugurée, pour son tronçon depuis Orléans, en 1846. Balzac peut alors faire le trajet de chez lui à la Touraine en 6 heures environ. Il ne profite que de ce confort que lors de ses derniers séjours en Touraine.

Balzac pressant donc (on l’a vu plus haut) les changements que va apporter ce nouveau moyen de transport. Il semble dire qu’on ne voyage pas avec la même volubilité en train qu’en diligence

J’ai remarqué combien ces tonneaux pleins d’esprit sont disposés à se vider quand ils sont charriés par des diligences ou des coucous, par tous les véhicules que traînent les chevaux, car personne ne cause en chemin de fer.

Petites Misères de la vie conjugale

Si ses personnages ne prennent que très peu le train, cette révolution est évoquée dans le roman Un Début dans la vie

Les chemins de fer, dans un avenir aujourd’hui peu éloigné, doivent faire disparaître certaines industries, en modifier quelques autres, et surtout celles qui concernent les différents modes de transport en usage pour les environs de Paris. Aussi, bientôt les personnes et les choses qui sont les éléments de cette Scène lui donneront-elles le mérite d’un travail d’archéologie. Nos neveux ne seront-ils pas enchantés de connaître le matériel social d’une époque qu’ils nommeront le vieux temps ? Ainsi les pittoresques coucous qui stationnaient sur la place de la Concorde en encombrant le Cours-la-Reine, les coucous si florissants pendant un siècle, si nombreux encore en 1830, n’existent plus ; et, par la plus attrayante solennité champêtre, à peine en aperçoit-on un sur la route en 1842.

Un début dans la vie

Portrait de Balzac en géo-graphe (12) : LE VOYAGE DANS L’ŒUVRE DE BALZAC (2)

La Province, ou les modes de transports dans La Comédie humaine : A pied et à cheval

Au-delà de la Touraine, c’est une grande partie de la province française qui est présente dans les romans de Balzac. D’ailleurs notre écrivain intitule une des parties de sa Comédie humaine Scènes de la vie de province. Mais certains romans d’autres parties se déroulent aussi dans cet espace entre capitale et frontières (voir encadré Rose des romans). La province présentée par Balzac dans son œuvre est principalement située dans la moitié nord de la France.

Si, pour la plupart des romans, l’action se déroule dans un lieu défini, le déplacement des personnages est assez fréquent, à un moment ou un autre de l’histoire. Bien souvent, néanmoins, ce déplacement est assez peu décrit.

Lorsqu’ils se déplacent, les personnages de Balzac vont à pied, à cheval (parfois) ou en calèche. Et parfois même en train (mais c’est assez rare, le train ne se développant en France qu’à partir des années 1840). “L’univers romanesque de Balzac constitue toutefois un véritable répertoire des façons de voyager, des différents types de véhicules, des tarifs, des endroits où faire étape et prendre du repos et des repas, des diverses échelles de déplacements” nous précise Nicole Mozet[i].

Rose des romans de Balzac

 Dans les Scènes de la vie de province : Proche Paris : Ursule Mirouët à Nemours, Pierrette à Provins ; Centre : Eugénie Grandet à Saumur ; La Muse du département et La Rabouilleuse dans la Berry ; Le Lys dans la vallée, L’illustre Gaudissart et Le Curé de Tours en Touraine ; Sud-Ouest : Illusions perdues à Angoulême….

Quelques romans provinciaux des autres parties de La Comédie humaine : Est : Albert Savarus à Besançon ; Ouest : Modeste Mignon ou L’enfant maudit en Normandie, Béatrix, ou Un drame au bord de la mer en Bretagne….

 

 À Pied

Certains personnages de Balzac font de conséquents voyages à pied, plusieurs dizaines de kilomètres. Félix de Vandenesse, disons, dans Le Lys dans la vallée parcourt ainsi les 25 kilomètres entre Tours et Saché, décrivant sur plusieurs dizaines de lignes les paysages qu’il traverse (voir la citation plus haut).

À la fin d’Illusions perdues, c’est Lucien de Rubempré qui marche, du côté d’Angoulême. Moment important pour le personnage, puisqu’il va rencontrer Vautrin, l’amateur de jeunes hommes à façonner.

Il parvint bientôt au pied d’une de ces côtes qui se rencontrent si fréquemment sur les routes de France, et surtout entre Angoulême et Poitiers. La diligence de Bordeaux à Paris venait avec rapidité, les voyageurs allaient sans doute en descendre pour monter cette longue côte à pied. Lucien, qui ne voulut pas se laisser voir, se jeta dans un petit chemin creux et se mit à cueillir des fleurs dans une vigne.

Illusions perdues

À cheval

Dans cette époque d’avant les moteurs, on se déplace forcément à cheval. Le déjà cité Félix de Vandenesse ou Lady Dudley chevauchent dans Le Lys dans la vallée.

Félix de Vandenesse :

Quand je me trouvai seul à Tours, il me prit après le dîner une de ces rages inexpliquées que l’on n’éprouve qu’au jeune âge. Je louai un cheval et franchis en cinq quarts d’heure la distance entre Tours et Pont-de-Ruan. Là, honteux de montrer ma folie, je courus à pied dans le chemin, et j’arrivai comme un espion, à pas de loup, sous la terrasse. La comtesse n’y était pas, j’imaginai qu’elle souffrait ; j’avais gardé la clef de la petite porte, j’entrai ; elle descendait en ce moment le perron avec ses deux enfants pour venir respirer, triste et lente, la douce mélancolie empreinte sur ce paysage, au coucher du soleil.

Lady Dudley :

Nous prîmes donc le chemin des landes de Charlemagne où la pluie recommença. A moitié des landes, j’entendis les aboiements du chien favori d’Arabelle ; un cheval s’élança tout à coup de dessous une truisse de chêne, franchit d’un bond le chemin, sauta le fossé creusé par les propriétaires pour distinguer leurs terrains respectifs dans ces friches que l’on croyait susceptibles de culture, et lady Dudley s’alla placer dans la lande pour voir passer la calèche.

Une belle promenade, au tout début du Médecin de campagne, emmène Genestat à travers les paysages du massif de la Grande chartreuse

En 1829, par une jolie matinée de printemps, un homme âgé d’environ cinquante ans suivait à cheval le chemin montagneux qui mène à un gros bourg situé près de la Grande-Chartreuse. Ce bourg est le chef-lieu d’un canton populeux circonscrit par une longue vallée. Un torrent à lit pierreux souvent à sec, alors rempli par la fonte des neiges, arrose cette vallée serrée entre deux montagnes parallèles, que dominent de toutes parts les pics de la Savoie et ceux du Dauphiné. Quoique les paysages compris entre la chaîne des deux Mauriennes aient un air de famille, le canton à travers lequel cheminait l’étranger présente des mouvements de terrain et des accidents de lumière qu’on chercherait vainement ailleurs. Tantôt la vallée subitement élargie offre un irrégulier tapis de cette verdure que les constantes irrigations dues aux montagnes entretiennent si fraîche et si douce à l’œil pendant toutes les saisons ; tantôt un moulin à scie montre ses humbles constructions pittoresquement placées, sa provision de longs sapins sans écorce, et son cours d’eau pris au torrent et conduit par de grands tuyaux de bois carrément creusés, d’où s’échappe par les fentes une nappe de filets humides. Çà et là, des chaumières entourées de jardins pleins d’arbres fruitiers couverts de fleurs réveillent les idées qu’inspire une misère laborieuse ; plus loin, des maisons à toitures rouges, composées de tuiles plates et rondes semblables à des écailles de poisson, annoncent l’aisance due à de longs travaux ; puis au-dessus de chaque porte se voit le panier suspendu dans lequel sèchent les fromages. Partout les haies, les enclos sont égayés par des vignes mariées, comme en Italie, à de petits ormes dont le feuillage se donne aux bestiaux. Par un caprice de la nature, les collines sont si rapprochées en quelques endroits qu’il ne se trouve plus ni fabriques, ni champs, ni chaumières. Séparées seulement par le torrent qui rugit dans ses cascades, les deux hautes murailles granitiques s’élèvent tapissées de sapins à noir feuillage et de hêtres hauts de cent pieds. Tous droits, tous bizarrement colorés par des taches de mousse, tous divers de feuillage, ces arbres forment de magnifiques colonnades bordées au-dessous et au-dessus du chemin par d’informes haies d’arbousiers, de viornes, de buis, d’épine rose. Les vives senteurs de ces arbustes se mêlaient alors aux sauvages parfums de la nature montagnarde, aux pénétrantes odeurs des jeunes pousses du mélèze, des peupliers et des pins gommeux. Quelques nuages couraient parmi les rochers en en voilant, en en découvrant tour à tour les cimes grisâtres, souvent aussi vaporeuses que les nuées dont les moelleux flocons s’y déchiraient. A tout moment le pays changeait d’aspect et le ciel de lumière ; les montagnes changeaient de couleur, les versants de nuances, les vallons de forme : images multipliées que des oppositions inattendues, soit un rayon de soleil à travers les troncs d’arbres, soit une clairière naturelle ou quelques éboulis, rendaient délicieuses à voir au milieu du silence, dans la saison où tout est jeune, où le soleil enflamme un ciel pur. Enfin c’était un beau pays, c’était la France !

Homme de haute taille, le voyageur était entièrement vêtu de drap bleu aussi soigneusement brossé que devait l’être chaque matin son cheval au poil lisse, sur lequel il se tenait droit et vissé comme un vieil officier de cavalerie. Si déjà sa cravate noire et ses gants de daim, si les pistolets qui grossissaient ses fontes, et le portemanteau bien attaché sur la croupe de son cheval, n’eussent indiqué le militaire, sa figure brune marquée de petite-vérole, mais régulière et empreinte d’une insouciance apparente, ses manières décidées, la sécurité de son regard, le port de sa tête, tout aurait trahi ces habitudes régimentaires qu’il est impossible au soldat de jamais dépouiller, même après être rentré dans la vie domestique. Tout autre se serait émerveillé des beautés de cette nature alpestre, si riante au lieu où elle se fond dans les grands bassins de la France ; mais l’officier, qui sans doute avait parcouru les pays où les armées françaises furent emportées par les guerres impériales, jouissait de ce paysage sans paraître surpris de ces accidents multipliés.

Le Médecin de campagne

Le rythme du pas de cheval est adéquat à celui de la description. Prendre le temps de voir, accélérer un peu ou s’arrêter si besoin. Ce que ne permettent pas forcément les transports en commun.

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[i] Introduction in Balzac voyageur, 2004

Portrait de Balzac en géo-graphe (11) : LE VOYAGE DANS L’ŒUVRE DE BALZAC (1)

Mon ouvrage a sa géographie comme il a sa généalogie et ses familles, ses lieux et ses choses, ses personnes et ses faits ; comme il a son armorial, ses nobles et ses bourgeois, ses artisans et ses paysans, ses politiques et ses dandies, son armée, tout son monde enfin !

Avant-propos


Ce que l’on retrouve de ses voyages dans ses romans.

Balzac a donc parcouru l’Europe et sa culture. Il en a mis un peu (relativement peu, somme toute) dans ses romans. On retrouve les brumes romantiques de l’Allemagne dans L’Auberge rouge, on croise Dante en exil à Paris dans Les Proscrits, un Jésus Christ contemporain marchant sur l’eau entre l’île de Cadzant (aujourd’hui disparue) et la côte des Flandres dans Jésus Christ en Flandres, on philosophe avec le suédois Swedenborg dans Louis Lambert, on cite Lord Byron ou Goethe dans Modeste Mignon, en Normandie (« Ne m’avez-vous pas dit de Byron et de Goethe qu’ils étaient deux colosses d’égoïsme et de poésie? »), on déguste des glaces italiennes dans Massimilia Doni, on imagine la Norvège à partir du déjà imaginaire Séraphîta, et caetera…, et caetera….

Paris, ville de résidence de l’écrivain, constitue le support d’une très grande partie de ses romans. Après la capitale, ce que l’on retrouve avant tout est la province, régulièrement utilisée, même si c’est longtemps après les voyages qu’il a pu y faire. L’étranger n’est finalement que rarement présent dans l’œuvre de Balzac. Notons que ses grands voyages -à l’inverse de ceux en province- se retrouvent peu dans ses romans.

La Touraine, ou le retour aux sources

Dès ses premiers textes, Balzac avant Balzac, sous divers pseudonymes, il tend déjà à revenir, en littérature, vers sa Touraine natale. Dans l’inédit (à l’époque) Sténie, on retrouve un attachement particulier à ce territoire.

À mesure que j’approchais de ma douce patrie, ton image, ton amitié, mes regrets, mes pensées palissaient devant elle et les souvenirs de mon enfance !… Juge par cet aveu combien je t’aime. Oui, tout disparut lorsque j’aperçus les bords de la Loire et les collines de la Touraine. J’étais tout entier à ma délicieuse sensation et je m’écriais en moi-même : ô champs aimés des Cieux ! tranquille pays, l’Indoustan de la France, où coule un autre Gange, que je te vois avec délices ! oui ton air est plus parfumé que celui que je respirais et ta verdure est plus belle que celle que je foulais naguères ! mon âme est plus en harmonie avec tes sites charmants où règne non pas l’audace, le grandiose, mais la bonté naïve de la nature ; je suis chez moi… C’est sur ton ciel pur que mes premiers regards ont vu fuir des premiers nuages… à cette place… dans cette vallée… Salut Bateliers… Salut, Laboureurs, salut mon doux pays, salut. Barbare tu te moqueras de mes exclamations, en lisant ceci, mais crois que mon âme tout entière y est contenue, et que mon cœur s’est attaché aux froids caractères qui te la présentent. Si tu connaissais la Touraine, cette autre Tempé, tu partagerais mon enthousiasme. Ce pays paraît beau même à ceux qui ont les plus belles patries au dire des hommes, et l’Anglais si patriote abandonne la sienne pour adopter les rives de la loire ; en effet, si de vastes forêts la bordaient de leurs colonnades antiques, ce serait l’Ohio, le Meschacebé, mais combien elle est plus belle avec son sable doré, et ses tableaux pittoresques.

Sténie

Cette Touraine est aussi très présente dans La Comédie humaine. Après Paris, c’est la région la plus utilisée par Balzac comme lieu d’action de ses romans. Certaines histoires sont ancrées dans cette province ; citons Le Lys dans la vallée (Saché), Le Curé de Tours (Tours), L’Illustre Gaudissard (Vouvray), La Grenadière (Saint-Cyr-sur-Loire), Maitre Cornélius (Tours). D’autres y passent plus ou moins longuement (La Femme de trente ans, La Peau de chagrin…). S’il l’utilise autant, c’est sûrement parce que c’est une des régions qu’il connait le mieux et fréquente le plus. Peut-être car tourangeau de naissance. Région préférée de l’écrivain, Il songe à s’y installer, à acheter le château de Moncontour à Vouvray, ou une petite maison (La Grenadière, celle-là même qui l’inspire dans la nouvelle éponyme) à Saint-Cyr-sur-Loire. Finalement il n’en sera rien, mais il attribue à Félix de Vandenesse, dans Le Lys dans la vallée, ces propos –amour pour la Touraine- qu’il aurait probablement pu tenir :

Ne me demandez plus pourquoi j’aime la Touraine ? je ne l’aime ni comme on aime son berceau, ni comme on aime une oasis dans le désert ; je l’aime comme un artiste aime l’art ; je l’aime moins que je ne vous aime, mais sans la Touraine, peut-être ne vivrais-je plus.

Le Lys dans la vallée

De la réalité au roman : venir en Touraine

 L’un des voyage que Balzac a le plus souvent effectué est donc celui qui le menait à Tours, puis prolongé jusqu’à Saché. Pour se rendre dans ce lieu de villégiature studieuse où il est, dit-il, heureux d’être là comme un moine dans un monastère (lettre d’Honoré de Balzac à Mme Hanska, Paris, mars 1833), Balzac met plus de 24 heures, voyage jour et nuit. Ce long trajet, dans des conditions éprouvantes, entre Paris et Tours se fait alors en diligence.

Arrivé en à Tours, il doit encore faire 25 kilomètres pour venir jusqu’à Saché. Balzac essaie de se faire véhiculer par Monsieur de Margonne ou par ses amis :

Monsieur et ami, si vous êtes à Saché comme je n’en doute pas, vu la moisson si précieuse après l’an dernier qui a vu les menaces de la disette, je suis sûr de pouvoir partir dimanche 1er août par le 1er convoi qui arrive je crois à 2 heures. Si vous aviez pour ce dimanche q[ue]lq[ues] visiteurs, vous seriez bien aimable de leur dire de me prendre avec eux, je pourrai dîner à Saché en ayant déjeuné à Paris.

lettre à Jean Margonne, Paris, 25 juillet 1847

S’il n’a pas de véhicule disponible, parfois, par souci d’économies, il fait trajet à pied :

Maintenant, ma bonne mère, je suis arrivé avant-hier soir ici [à Angoulême, chez Zulma Carraud] ; hier je me suis reposé, parce que la route par, cette chaleur m’avait horriblement fatigué, car j’avais fait à pied, à midi, le chemin de Saché à Tours.

lettre à sa mère, Angoulême, 19 juillet 1832

Les modes de transports vont s’améliorer considérablement à la fin des années 1840 avec l’arrivée de la ligne de chemin de fer Paris-Tours. La durée du trajet est alors d’environ 6h. Balzac en profite en 1846 et 1848 pour ses derniers séjours en Touraine.

Petit aparté. De différents lieux, par différents moyens de transports, Balzac converge vers la Touraine. Bateaux à vapeurs et chemins de fers, les voyages sont de plus en plus rapides

Il n’y a que les chemins de fer et les bateaux à vapeur qui permettent de partir de Rome pour être à Saché en si peu de temps.

lettre à Jean de Margonne, 31 mai 1846

La Touraine, région natale, est un espace vécu. La littérature balzacienne est en partie une restitution de l’espace vécu. Vécu mais arrangé. Et les intrigues qui sont situées en Touraine peuvent utiliser des souvenirs d’enfance ou des souvenirs plus proches liés à des séjours à Tours ou à Saché.

Balzac réutilise, recycle, réarrange ses expériences. Ainsi, dans Le Lys dans la vallée (où Félix ressemble par bien des points à notre écrivain), Balzac fait faire ce trajet qu’il connait bien à son personnage. Il le décrit sur quelques lignes.

D’abord la diligence

Je ne vous parlerai point du voyage que je fis de Paris à Tours avec ma mère. La froideur de ses façons réprima l’essor de mes tendresses. En partant de chaque nouveau relais, je me promettais de parler ; mais un regard, un mot effarouchaient les phrases prudemment méditées pour mon exorde. A Orléans, au moment de se coucher, ma mère me reprocha mon silence. Je me jetai à ses pieds, j’embrassai ses genoux en pleurant à chaudes larmes, je lui ouvris mon coeur, gros d’affection ; j’essayai de la toucher par l’éloquence d’une plaidoirie affamée d’amour, et dont les accents eussent remué les entrailles d’une marâtre. Ma mère me répondit que je jouais la comédie. Je me plaignis de son abandon, elle m’appela fils dénaturé. J’eus un tel serrement de coeur qu’à Blois je courus sur le pont pour me jeter dans la Loire. Mon suicide fut empêché par la hauteur du parapet.

Puis à pied

Donc, un jeudi matin je sortis de Tours par la barrière Saint-Eloy, je traversai les ponts Saint-Sauveur, j’arrivai dans Poncher en levant le nez à chaque maison, et gagnai la route de Chinon. Pour la première fois de ma vie, je pouvais m’arrêter sous un arbre, marcher lentement ou vite à mon gré sans être questionné par personne. Pour un pauvre être écrasé par les différents despotismes qui, peu ou prou, pèsent sur toutes les jeunesses, le premier usage du libre arbitre, exercé même sur des riens, apportait à l’âme je ne sais quel épanouissement. Beaucoup de raisons se réunirent pour faire de ce jour une fête pleine d’enchantements. Dans mon enfance, mes promenades ne m’avaient pas conduit à plus d’une lieue hors la ville. Mes courses aux environs de Pont-le-Voy, ni celles que je fis dans Paris, ne m’avaient gâté sur les beautés de la nature champêtre. Néanmoins il me restait, des premiers souvenirs de ma vie, le sentiment du beau qui respire dans le paysage de Tours avec lequel je m’étais familiarisé. Quoique complétement neuf à la poésie des sites, j’étais donc exigeant à mon insu, comme ceux qui sans avoir la pratique d’un art en imaginent tout d’abord l’idéal. Pour aller au château de Frapesle, les gens à pied ou à cheval abrègent la route en passant par les landes dites de Charlemagne, terres en friche, situées au sommet du plateau qui sépare le bassin du Cher et celui de l’Indre, et où mène un chemin de traverse que l’on prend à Champy. Ces landes plates et sablonneuses, qui vous attristent durant une lieue environ, joignent par un bouquet de bois le chemin de Saché, nom de la commune d’où dépend Frapesle. Ce chemin, qui débouche sur la route de Chinon, bien au delà de Ballan, longe une plaine ondulée sans accidents remarquables, jusqu’au petit pays d’Artanne. Là se découvre une vallée qui commence à Montbazon, finit à la Loire, et semble bondir sous les châteaux posés sur ces doubles collines ; une magnifique coupe d’émeraude au fond de laquelle l’Indre se roule par des mouvements de serpent. A cet aspect, je fus saisi d’un étonnement voluptueux que l’ennui des landes ou la fatigue du chemin avait préparé. — Si cette femme, la fleur de son sexe, habite un lieu dans le monde, ce lieu, le voici ? A cette pensée je m’appuyai contre un noyer sous lequel, depuis ce jour, je me repose toutes les fois que je reviens dans ma chère vallée. Sous cet arbre confident de mes pensées, je m’interroge sur les changements que j’ai subis pendant le temps qui s’est écoulé depuis le dernier jour où j’en suis parti. Elle demeurait là, mon coeur ne me trompait point : le premier castel que je vis au penchant d’une lande était son habitation. Quand je m’assis sous mon noyer, le soleil de midi faisait pétiller les ardoises de son toit et les vitres de ses fenêtres. Sa robe de percale produisait le point blanc que je remarquai dans ses vignes ! sous un hallebergier. Elle était, comme vous le savez déjà, sans rien savoir encore, le lys de cette vallée où elle croissait pour le ciel, en la remplissant du parfum de ses vertus. L’amour infini, sans autre aliment qu’un objet à peine entrevu dont mon âme était remplie, je le trouvais exprimé par ce long ruban d’eau qui ruisselle au soleil entre deux rives vertes, par ces lignes de peupliers qui parent de leurs dentelles mobiles ce val d’amour, par les bois de chênes qui s’avancent entre les vignobles sur des coteaux que la rivière arrondit toujours différemment, et par ces horizons estompés qui fuient en se contrariant. Si vous voulez voir la nature belle et vierge comme une fiancée, allez là par un jour de printemps, si vous voulez calmer les plaies saignantes de votre coeur, revenez-y par les derniers jours de l’automne ; au printemps, l’amour y bat des ailes à plein ciel, en automne on y songe à ceux qui ne sont plus. Le poumon malade y respire une bienfaisante fraîcheur, la vue s’y repose sur des touffes dorées qui communiquent à l’âme leurs paisibles douceurs. En ce moment, les moulins situés sur les chutes de l’Indre donnaient une voix à cette vallée frémissante, les peupliers se balançaient en riant, pas un nuage au ciel, les oiseaux chantaient, les cigales criaient, tout y était mélodie.

Le Lys dans la vallée

Portrait de Balzac en géo-graphe (10) : LES GRANDS VOYAGES (2)

Voyages & affaires

 

Tout au long de sa vie, Balzac n’est pas à court d’idées pour (essayer de) gagner de l’argent (retenons le mémorable projet de plantation d’ananas à … Sèvres). Pratiquement jamais, cependant, ces idées ne lui feront gagner de l’argent.

Deux idées notables sont liées à ses voyages.

Une mine d’argent en Sardaigne

Balzac peut se déplacer avec l’intention de faire des affaires ou de régler celles des autres. Régler celle des Guibodini-Visconti (l’amante) par exemple l’emmène en Italie plusieurs fois.

L’un de ces voyages (celui de 1838) a aussi pour but d’acheter une mine d’argent en Sardaigne. L’idée est peut-être bonne, mais Balzac se fait doubler.

 

Le voyage :

départ le 15 mars – 6 juin : Marseille, Toulon (le 21), Ajaccio (23 mars – 4 (?) avril), Sardaigne, Gênes (21 avril), Turin, Milan, rentre par le Mont-Cenis.

Le voyage n’est pas complètement perdu puisque, de passage par la Corse, il a visité la maison de l’admiré Napoléon, à Ajaccio. Il y fait quelques corrections sur le grand homme.

J’ai beaucoup souffert, surtout sur mer, mais me voici dans la ville natale des Napoléons. […] Je suis allé voir la maison de Napoléon, et c’est une pauvre baraque. D’ailleurs j’y ai rectifié plusieurs erreurs.

lettre à Mme Hanska, Ajaccio, 26 mars 1838

Des traverses de chemins de fer en Ukraine

En voyage, nouveaux pays & paysages, les idées foisonnent. Lors de son premier trajet vers Ukraine (en 1847), il observe d’immenses forêts. Arrivé, il suggère une affaire à son beau-frère. Explication confuse mais argumentée.

Ma chère soeur

[…] en ce moment, la France où il se fait une immense consommation de bois de chêne pour les traverses des chemins de fer, manque presque de bois de chêne, […]. Cela posé, ces messieurs qui ont 20 000 arpents de bois de chêne de haute futaie peuvent vendre 60 000 pieds de chêne de 10 mètres de hauteur qui auraient en moyenne 15 pouces de diamètre à la base et 10 pouces à l’endroit où l’on coupe la poutre par le petit bout. Il faudrait calculer le prix que l’on pourrait donner de chaque pièce au propriétaire en calculant : 1° le transport de Brody à Cracovie (80 lieues) et 2° le fret des chemins de fer de Cracovie à Paris, y compris le passage du Rhin à Cologne et de l’Elbe à Magdebourg, car sur ces 2 fleuves les ponts-viaducs n’étant pas faits à Cologne et se faisant à Magdebourg exigent 2 transbordements. […] si l’acquisition première est de 10 f. par exemple et que les frais soient de 20 f. pour le transport (je pose des chiffres pour expliquer mon raisonnement) que la poutre revienne à 30 f., la question est de savoir ce que valent à Paris 60 000 pièces de bois de chêne de 30 pieds de longueur […] Dis à ton mari qu’il aura à l’administration du chemin de fer du Nord tous les renseignements possibles, sur le fret des 4 chemins de fer, qui sont au bout les uns des autres et qui vont de Paris à Cracovie […]. Il faut me répondre cathégoriquement [sic] sur cette affaire qui si elle pouvait n[ous] donner seulement 5 fr. de bénéfice par poutre et 2 fr. par traverse, tous frais faits, serait une fortune de 420 000 fr. Cela vaut la peine d’y penser, car cela serait les dots de tes filles. 

lettre à Laure Surville, Wierzchownia, 8bre [1847]

Exploiter les forêts pour faire des traverses de chemins de fer, l’idée n’est pas mauvaise dans cette Europe où ce moyen de transport encore nouveau se développe.

Nos neveux ne sauront jamais à quels ennuis les tronçons de chemins de fer auront exposé leurs pères, eux qui trouverons une Europe toute ferrée et arrangée comme un piano ; car en se mettant au bout d’une touche, le chemin de fer lancera, comme le musicien lance une note, au but du voyage.

(Lettre sur Kiew)

Portrait de Balzac en géo-graphe (9) : ZOOM : vingt-trois villes qui sont sacrées

Balzac a donc voyagé, un peu ; ce ne fut pas ce qu’on appelle un grand voyageur, mais il a traversé, nous l’avons vu, plusieurs fois l’Europe. Pour rejoindre Mme Hanska à Saint-Pétersbourg, pour rejoindre Mme Hanska chez elle, en Ukraine (la Pologne à l’époque), à Wierzchownia. Cette Mme Hanska fit voyager Balzac ; ils se retrouvèrent à Genève, à Vienne, à Dresde. Un autre voyage, une mascarade plutôt, fut aussi dû à une femme, la comtesse de Guibodoni-Visconti, une anglaise mariée à un italien ; pour elle, il alla régler quelques affaires dans la botte, il partit avec une femme déguisée en homme, en page ; mais ce déguisement n’abusa personne, et la supercherie fit parler ; par ailleurs, la femme en question fut ravie qu’on la prenne pour George Sand.

Balzac écrivit une lettre à Mme Hanska, sa polonaise, sujette russe, habitant dans ce qui est aujourd’hui l’Ukraine, une lettre donc où

Il y a pour moi, mon chéri lplp., vingt-trois villes qui sont sacrées et que voici : Neufchâtel, Genève, Vienne, Pétersbourg, Dresde, Cannstadt, Carlsruhe, Strasbourg, Passy, Fontainebleau, Orléans, Bourges, Tours, Blois, Paris, Rotterdam, La Haye, Anvers, Bruxelles, Baden, Lyon, Toulon, Naples, je ne sais pas ce qu’elles sont pour vous, mais pour moi c’est quand l’un de ces noms vient dans ma pensée comme si un Chopin touchait une touche de piano ; le marteau réveille des sons qui vibrent dans mon âme, et il s’éveille tout un long poème.

lettre à Mme Hanska, 12 déc. 1845

Liste hétéroclite, des plus grandes cités d’Europe aux petites villes de province, où Passy côtoie Pétersbourg, où Toulon côtoie Naples. On remarquera un centre, le Bassin parisien de l’île de France où il habite et de sa Touraine natale ; on relèvera une direction principale vers le Nord-Est, l’Allemagne, la Russie, les Pays-Bas ; on notera une timide direction vers le Sud et l’Italie, quelques passage par la Suisse.

Liste hétéroclite où Neuchâtel est « un lys blanc », Genève « une ardeur de rêve », Pétersbourg « le salon bleu de la Neva », Dresde « la misère dans le bonheur », Strasbourg « l’amour savant », Orléans Tours, Bourges et Blois « sont des concertos », Paris, Rotterdam, La Haye, Anvers « sont des fleurs d’automne » etc…

Liste hétéroclite de villes vues. Parce que Balzac a aussi écrit sur ce qu’il n’a pas forcément vu. Ses romans sont pleins d’images, de visions, de clichés sur les peuples d’Europe et de plus loin.

Portrait de Balzac en géo-graphe (8) : LES GRANDS VOYAGES (1)

Et … Mme Hanska !

Eveline Hanska. Comtesse, née au tout début du 19è siècle (date incertaine) dans ce qui s’appelle alors la Pologne. À cette époque, la Pologne est beaucoup vaste qu’aujourd’hui, elle englobe l’Ukraine. Mme Hanska habite à Wierzchownia, près de Berditcheff, près (à 150 km) de Kiev.

Les textes de Balzac circulent dans la plupart des pays d’Europe, surtout dans son versant Est, et particulièrement dans l’empire russe francophile.

Mais c’est d’Odessa, sur les rives de la Mer noire, qu’elle envoie sa première lettre (de façon anonyme à Balzac. Admiratrice déçue, elle lui fait quelques reproches quant au fantastique de La Peau de chagrin.

Balzac, qui n’a pratiquement pas voyagé hors de France (il vient à peine de découvrir la Suisse) au moment où il reçoit la première lettre de Mme Hanska, s’enflamme pour cette Etrangère (« Pour vous je suis l’étrangère, et la serai toute ma vie ; vous ne me connaître jamais […]. », lettre de Mme Hanska, 7 novembre 1832), et sans connaitre encore la dame il lui écrit :

[…] je vous avouerai que vous avez été pour moi l’objet des plus doux rêves […] je me suis surpris plus d’une fois chevauchant à travers les espaces et voltigeant dans la contrée inconnue où vous, inconnue, habitiez seule de votre race.

Une des 1ères lettres à Mme Hanska

Il s’en suit une longue et riche correspondance qui les mènera aux bouts de l’Europe et au mariage.

 

Depuis le centre de l’Europe vers ses confins

Mme Hanska est une comtesse itinérante. Elle a son pied à terre près de Kiev et des portes aristocratiques ouvertes dans toute l’Europe (ou presque). Elle en profite, voit du pays et fait voyager notre auteur.

Une première fois, elle l’attire à proximité. Juste une petite frontière à franchir. Celle de la Suisse. Une dizaine de jours à la fin du mois de septembre 1833. À Neuchâtel. Première rencontre sous surveillance du mari.

C’est là […] que nous avons envoyé le mari s’occuper du déjeuner. Mais nous étions en vue, et, alors, à l’ombre d’un grand chêne, s’est donner le furtif baiser premier de l’amour.

  1. à Laure Surville, 12 octobre 1833

Parce qu’elle est mariée ! cette belle Madame Hanska, avec Monsieur Venceslas Hanski. Balzac jure d’attendre. Il attend. Presque 17 ans. Ils se marient finalement en mars 1850, à Berditcheff (Ukraine). Cinq mois à peine avant de revenir mourir à Paris.

Puis Balzac retrouve son étrangère de plus en plus loin.

Genève (1833-34),

Vienne (1834, il profite du voyage pour rencontrer quelques mondanités : Lady Jane Elizabeth Digby, favorite de Louis 1er de Bavière, Klemens Metternich, un autre (Balzac en fut aussi) amant de la duchesse d’Abrantès),

Saint-Petersbourg (1843)

l’Allemagne et Naples (1845),

la Hollande et la Belgique (1845)

… puis l’Ukraine(1847-50).

Vienne

Vienne. Le Lys dans la vallée est écrit à plusieurs endroits, sauf dans le lieu où se déroule l’histoire (ou presque, Balzac dit avoir écrit un portrait à Saché).

A propos de personne se plaignant de se retrouver dans le Lys dans la vallée ou reconnaissant Mme Guibodoni Visconti dans Mme de Morsauf, Balzac répond :

Vous savez que j’avais les épreuves à Vienne, et ce portrait a été écrit à Saché,corrigé à La Boulonnière,avant que j’eusse vu Mme de V[isconti].

lettre à Mme Hanska 1er octobre 1836

Vienne, c’est dans cette ville que Balzac envisage sérieusement de travailler à ce roman.

Je me suis juré de faire cette œuvre à Vienne, ou, sinon, de me jeter dans le Danube

lettre à Mme Hanska 25 mai 1835

 

 

Saint-Pétersbourg

L’un des plus singuliers voyage de Balzac est celui vers Saint-Pétersbourg (fin juillet-septembre 1843). Il fait le trajet en bateau –une petite dizaine de jours en partant de Dunkerque sur le Devonshire. Un comte russe (Kisséleff) envisage de « récupérer » Balzac en profitant de son manque chronique d’argent et de sa popularité ici afin qu’il rédige « la contrepartie de l’hostile et calomnieux ouvrage de Mr de Custine. » (Comte Kisséleff, dépêche au ministre des affaires étrangères K. V. Nesselrode, 24 juillet 1843). Il n’en sera finalement rien. Un journal ajoute même que Balzac « a refusé les propositions que lui avaient faites divers éditeurs de publier ses impressions de voyage, n’ayant d’autre but, en s’éloignant, que de goûter un repos nécessité par tant de fatigues… » (Le Corsaire, 28/29 juillet 1843).

Lors de ce voyage, Balzac retrouve donc Madame Hanska qu’il n’avait pas revu depuis 1835. Il lui apporte aussi une lettre pressante du compositeur Liszt. Cette relation Liszt / Hanska attisera la jalousie de Balzac.

Il fait le voyage retour par les terres, traversant notamment les provinces Baltes.

 

L’Italie

C’est l’un des pays où Balzac se rend le plus souvent : il y fait 5 voyages en deux sessions. Tout d’abord 3 séjours en 1836, 1837, 1838 centrés principalement sur le nord de la péninsule (Milan, Turin, Gênes, Venise, Florence). Puis 2 autres séjours en 1845 et 1846, avec Madame Hanska ; ils vont alors plus au sud, atteignant Naples et Rome.

Ma chère Laure, j’éprouve par avance le plaisir que tu goûteras en pensant que ton frère a mis la main à la plume dans la ville des Césars, des papes, et autres. De t’en faire la description, je ne saurais ! Relis Lamennais (Affaires de Rome) et tu en sauras presqu’autant que moi, et que lui. J’ai été reçu avec distinction par n[otre] Saint-Père, et tu diras à ma mère qu’en me prosternant aux pieds du père commun des fidèles dont la pantoufle hiérarchique a été baisée par moi en compagnie d’un podestat d’Avignon (un affreux maire d’une commune de Vaucluse qui s’est réclamé de son ancienne sujétion), j’ai pensé à elle, et je lui rapporte un petit chapelet, de l’invention de Léon XII, beaucoup plus court à réciter que l’ancien et appelé la Corona, lequel est béni par sa S[a] S[ainteté]. J’ai vu tout Rome depuis A jusqu’à Z.

L’illumination du dôme de S[ain]t-Pierre, le jour de Pâques vaut à elle seule le voyage, mais comme on peut en dire autant de la bénédiction donnée urbi et orbi, le S[ain]t-Pierre, du Vatican, des ruines, il se trouve que mon voyage peut compter pour 10. Malheureusement Rome est chère, elle a autant de mendiants que d’habitants, ce qui rend les visites aux palais et aux galeries d’une impossibilité majuscule; aussi me suis-je empressé de la quitter pour revenir à Paris, où je serai vraisemblablement à la fin du mois, car je suis forcé de passer par la Suisse. Le retour par mer est difficile, faute de places, il y a eu 50 000 étrangers à Rome pour la semaine sainte, et tous ces touristes veulent partir à la fois, ce qui rend les routes impraticables. Je vais jusqu’à Gênes, où je mettrai cette lettre à la poste pour éviter le port et le chemin.

lettre à Laure Surville [20 avril 1846.]

Un voyage discret

A l’été 1845, Madame Hanska fait un séjour clandestin en France. Balzac l’accompagne. Ce voyage inclue la Touraine que l’écrivain fait découvrir à sa future femme. 8 des villes traversées font partie de la liste des 23 villes « sacrées » dont Balzac fait état dans une lettre à Mme Hanska à la fin de l’année 1845 (voir zoom).

Les longs séjours en Ukraine en 1847-1848 et 1849-1950 

Si madame Hanska attire Balzac en divers endroits de l’Europe, c’est seulement à la fin des années 1840 qu’il ira chez elle, près de Kiev (l’Ukraine fait, géopolitique complexe suivant les années, partie de la Pologne ou de l’Empire Russe). La comtesse y possède un vaste domaine (20 000 ha de terres, 500 employés (esclaves) et fermiers) et un beau château,

[…] une espèce de Louvre, de temple grec […] dominant une vallée.

Lettre sur Kiew

Coup sur coup, pratiquement, Balzac fait le long voyage : de septembre 1847 à Février 1848, puis d’octobre 1848 à mai 1850. Trajets longs une huitaine de jours et parfois rocambolesques. Balzac évoque le premier (Paris → Wierzchownia) dans la Lettre sur Kiew. Ce récit de voyage écrit à Wierzchownia mi-octobre 1847, est resté à l’état de manuscrit (ce texte devait être publié dans le Journal des Débats), Balzac y rapporte les péripéties rencontrées sur la route.

Ce n’est pas, visiblement, sans appréhension ni sans humour qu’il envisage le voyage !

Quand Diderot, mercier de La Rivière et Napoléon allèrent en Russie, Dieu sait quelles précautions ils prirent ! L’un prit cinquante mille francs, et l’autre cinq cent mille hommes. […] Je vous le dis, dès qu’il s’agit d’aller dans ce pays, qu’on cherche d’illustres exemples ou les plus ordinaires, tout est inquiétant.

Si j’avais été Lamartine ou Victor Hugo j’aurais pu, comme Napoléon, entraîner l’Europe après moi […], mais je fus héroïque à ma manière, je partis seul[…].

Lettre sur Kiew

 

Ainsi il raconte la durée interminable du voyage, les différents modes de transport (chemin de fer, diligence, voiture particulière), parfois surprenants comme, en Pologne, la malle-poste locale, le kibitka :

Je quittais Radziviloff, comblé de bontés, gorgé d’excellent thé, muni du propre coussin de monsieur de Hackel pour attendrir les secousses du kitbitka (sic) dans lequel j’allais voyager. Figurez-vous qu’être tiré à un kitbitka ou à quatre chevaux, c’est tout un. Cette voiture de bois et d’osier, traînée avec une vélocité de locomotive, vous traduit dans tous les os les moindres aspérités du chemin avec une fidélité cruelle… On saute à trois pieds, l’on retombe sur du foin, le cocher ne s’inquiète pas de vous, son affaire est d’aller, la vôtre c’est de vous tenir.

Lettre sur Kiew

 

Tout dans la nuance, rien dans l’exagération (sic !). Balzac dans sa splendeur de voyageur.

Voyage pimenté.

Avec son lot de rencontres, d’anecdotes agrémentés par les difficultés de communication.

Avec les postillons :

Me voilà donc lancé vers Hamm sans codétenu dans les diligences, seul, ignorant tout, même la phrase nécessaire pour demander mes bagages.

Lettre sur Kiew

 

Le voyage fait mériter l’arrivée, la rend plus belle encore. Balzac soulagé de découvrir enfin la propriété de son aimée.

Il écrit une lettre à sa sœur. Résume. Tout dans la nuance, rien dans l’exagération (sic !). Balzac dans sa splendeur de voyageur (bis).

Ma chère sœur,

Je suis arrivé ici sans autre accident qu’une excessive fatigue, car j’ai fait le 1/4 du diamètre de la terre et plus même en 8 jours, sans m’arrêter ni me coucher; si j’avais doublé le chemin, je me serais trouvé par delà l’Hymmalaia. […] Cette habitation est exactement un Louvre, et les terres sont grandes comme nos départements. […] Encore Wierzchownia passe-t-il pour l’habitation la plus luxueuse de l’Ukrayne qui est grande comme la France. On y jouit d’une admirable tranquillité. […] De la frontière européenne à Odessa, c’est comme un même champ de la Beauce. […]

lettre à Laure Surville, Wierzchownia, 8bre [1847]

 

Le château semble être grand comme une ville, Balzac y possède un petit appartement où il travaille encore et encore, malgré une santé déclinante. Et c’est dans l’église Sainte-Barbe de la ville voisine de Berditcheff qu’Honoré de Balzac et Ewa Hanska se marient le 14 mars 1850.

Un peu de polonais et de russes, mais peu de chose de la Pologne, de l’actuelle Ukraine ou même de la Russie dans l’œuvre de Balzac, si ce n’est, donc, cette déjà citée Lettre sur Kiew, seul récit de voyage réel de cet écrivain, qui évoque plus le voyage pour se rendre à Kiev que la ville elle-même.

Il reste donc à Wierzschownia environ 2 ans, mais en deux séjours.

  • 5 septembre – 15 février 1848 : 1er voyage en UKRAINE (via BELGIQUE, ALLEMAGNE, POLOGNE) : Il quitte Paris Gare du Nord le 5 septembre – Bruxelles – Liège – Aix-la-Chapelle – Cologne – Dusseldorf – Hamm – (en train) – Hannovre (en Schnell-post) – Berlin – Breslau – Gleiwitz (en train) – Cracovie (le 9 – en malle-poste) – Pezeworsk – Brody – Radziwiloff – Dubno – Annopol – Jitomir – Berditcheff – Wierzchownia (le 13 septembre). Il reste en Ukraine jusque fin janvier 1848.

Petit re-passage par la France, Paris et la Touraine entre les deux.

  • 19 septembre – 20 mai 1850 (soit 1 an et 8 mois) : 2d voyage en UKRAINE (via ALLEMAGNE et POLOGNE) : Cologne – Cracovie (le 23 septembre) – Wisniowiec (chez le comte André Mniszech) – Wierzchownia (le 2 octobre).

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