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LES LIGNES DU MONDE – géographie & littérature(s)

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Géographie de Balzac. Portrait impressionniste de la France ?

Un article sur la géographie de Balzac paru dans la revue M@ppemonde.

Résumé :

Nous proposons une tentative de représentation cartographique de la géographie de Balzac à l’échelle de la France. Le corpus traité provient du répertoire géographique d’Hoffmann (1968). La géographie de Balzac est tributaire de son époque et met en évidence la diversité de ses points de chute. Cette géographie est avant tout parisienne puis a pour support, en grande partie, la moitié nord-ouest de la France. On note une importante fragmentation des territoires qui traduit l’esthétique des romans réalistes caractérisée par une description de sphères spatiales modestes à l’échelle des milieux géographiques et répond à la peinture des « types sociaux ». Le croquis chorématique apporte quelques éclairages sur l’organisation de l’espace français dans la première moitié du XIXe siècle.

Géographie de Balzac. Portrait impressionniste de la France ?

juillet 2018

Plus de vingt après une première esquisse « chorématique » de l’organisation spatiale du Lys dans la vallée (Morhange, 1991), nous proposons une tentative de représentation cartographique de la géographie de Balzac à l’échelle de la France. Le corpus traité provient du monumental répertoire géographique d’Hoffmann (1968), chaque occurrence de lieu étant représentée sur la carte selon la méthode classique des cercles proportionnels (figure 1). Du point de vue méthodologique, nous avons utilisé l’index des communes du répertoire qui inventorie tous « les noms de villes, villages, bourgades et lieux-dits, ainsi que les châteaux, églises et autres bâtiments isolés », chaque lieu géographique n’étant représenté sur la carte qu’une fois par roman ou nouvelle de La Comédie humaine (Hoffmann, 1968).

Figure 1. Carte des lieux géographiques cités par Balzac dans La Comédie humaine, d’après le répertoire géographique de Hoffmann (1968).

Le rapprochement entre cartographie et littérature pour l’étude des espaces romanesques n’est pas nouveau avec les premières tentatives des guides touristiques Baedeker dès le XIXsiècle (Bulson, 2007), puis la publication d’un certain nombre d’atlas littéraires ou d‘ouvrages universitaires (Sharp, 1904 ; Bartholomew, 1910 ; D’Auby Briscoe et al., 1936 ; Bradbury, 1996 ; Moretti, 1998 ; Piatti et al., 2009 ; Boeglin et al., 2016, parmi beaucoup d’autres références), quand ce ne sont pas les auteurs eux-mêmes, comme Defoe, Zola, Stevenson ou Faulkner, qui se sont transformés en apprentis cartographes…

Entre les pays et les âmes, entre les villes et les destinées des créatures qui y passent leur existence, il est des harmonies secrètes et de mystérieuses consonances. Inaperçus du commun, ces rapports à l’espace n’ont pas échappé à Balzac (Ponceau, 1974 ; Jacques, 1975). Mais il les a si étroitement intégrés à son œuvre romanesque qu’il fallait les y redécouvrir et les mettre en évidence grâce à la cartographie de tous les lieux nommés, même s’il est évident que la dimension géographique des romans ne se réduit pas à la seule cartographie des lieux identifiés dans les textes.

Comme Balzac l’annonce dès l’avant-propos de sa Comédie humaine, la géographie a son importance : « J’ai tâché de donner une idée des différentes contrées de notre beau pays. Mon ouvrage a sa géographie comme il a sa généalogie et ses familles, ses lieux et ses choses, ses personnes et ses faits ». Balzac fut en effet « le premier à intégrer à ses romans la description d’une réalité géographique à la fois proche dans l’espace et dans le temps » (Mozet, 1982). Par exemple, on fait souvent de Balzac le premier romancier du paysage avec Le Lys : « je voulais surtout étudier la langue française aussi bien que les fibres les plus déliées du cœur, et aborder la grande question du paysage en littérature » (préface du Lys dans la vallée, édition de 1836).

la suite de l’article par ici : Géographie de Balzac. Portrait impressionniste de la France ?

Le sentiment géographique de Mathieu LARNAUDIE

Mathieu Larnaudie ; depuis la parution d’Acharnement, je me dis qu’il faut que je lise ses romans. Comme nous l’accueillons en résidence au musée Rabelais, là, en bleu de lecture et crayon à la main, je le lis du coup. Et pas qu’un peu, j’envisage ses œuvres complètes. Déjà Pôle de résidence momentanée, Les Effondrés, Strangulation, La constituante piratesque. Plongée donc dans cette écriture singulière, ces sujets particuliers. Et, au delà des convergences rabelaisiennes, relevé ces quelques éléments géographiques.

 

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Lieux interchangeables

Après un saut en parachute, en plein champ, sur le sol rêche de l’Alabama, près d’une route par laquelle il avait réussi à gagner en auto-stop l’un de ces motels anonymes, interchangeables, qui sont les lieux communs de l’espace américain, situé à la sortie de d’une zone suburbaine quelconque […].

(Les Effondrés)

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L’adolescence, c’est de la géographie

Et qu’est-ce que l’adolescence, si elle ne s’émeut pas de la circulation mêlée des hommes et des objets, des marchandises, des paroles et des promesses qui, d’une ville, de ses pontons, de son arsenal, de tout ce qui s’y rassemble ou s’y disjoint, font l’ouverture aux chimères du possible.

(Strangulation)

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Du lieu et du rêve

Le moindre des lieux où il se tenait révélait une forme de vie tout entière : il pouvait en deux heures et en toute bonne foi être l’homme des foules ou le marin que la futilité d’un coup de tête fait hésiter à s’engager pour un armateur argentin […].

(Strangulation)

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Le métro en 1914

[…] les dix lignes du métro sont, elles, toujours en  service. Il est encore possible de se déplacer d’un point à un autre, lointain, dans Paris. Jean descend dans ce cloaque itinérant qu‘il n‘emprunte presque jamais : habituellement. sa géographie d’employé de centre-ville lui épargne les désagréments claustrophobes du transport qui bringuebale entre les égouts, les canalisations et les catacombes, qui coupe sous ses roues, sur le fil du rail, les rats en deux et terrorise en leur grotte, pendues a leur plafond suintant, les chauves-souris dociles. Il prend la direction de la porte de Chatillon, où se trouvent le  troisième bureau de recrutement  et sa dernière chance d’être enrôlé.

(Strangulation)

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Géographie sensible

Car il nous faut des dangers ; réels ou narrés (l’un et l’autre souvent, qui se complètent), ils justifient nos cheminements, ils ménagent nos territoires ; dessinent nos couloirs. Sans écueil, nul chenal ; sans dérive, pas d’ancrage.

Sans danger, pas de récit.

(La constituante piratesque)

Virginie GAUTIER & le sentiment géographique 2 : les toutes petites différences

Je me suis perdu dans Londres, je n’avais pas le bon plan. Mais j’ai aimé ça. Et puis comme elle me propose de venir causer, je lui dis que je prépare un texte. Une petite lecture. Alors plongée, d’abord, dans Les yeux ouverts, les yeux fermés. Relever, et après couper.

 

Route/paysage/GéoPhy/territoire

J’ai fait une longue route en me jetant sur les chemins dans la campagne inut en courbes traîtres propres à la débandade et aux achoppements. Les champs ratissés. Les cours de ferme. Les bois privés. Les étangs, les étendues muettes. Pressée de dissiper l’énergie, de trancher. Couper à travers champs était presque impossible. Il n’y a plus de fils de fer barbelés, il y des rubans électrifiés qui les délimitent. J’ai vu la tranche des collines qui ont été creusées, ouvertes. J’ai vu la blancheur de l’os, du cartilage calcaire qui, dès l’aube, accroche la lumière. Cette ouverture démesurée, cette douceur, de la lumière blanchie, du versant. En dépit de la vitesse des véhicules, sur la route j’ai pensé au temps, aux siècles nécessaires. J’ai pensé aux hommes. Aux premiers qui s’y installèrent entre le levant et le couchant. À ce long repos du soir sous l’abri des collines. Quelque chose dans le paysage est encore là qui n’a pas changé. Je me dis, finalement, il est important de ne rien faire de trop. On n’est peut-être pas là où l’on croit.

 

Qu’y a t-il à faire d’autre que reprendre sur soi du territoire.

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lieu

Je sais qu’il y a d’autres possibilités, d’autres endroits où aboutir. Que chaque lieu est provisoire. Bras écartés, les mains de chaque côté, les muscles des yeux travaillent à élargir l’angle de vision, à gagner quelques millimètres. Mon corps pour unité de mesure connaît ce qu’il peut franchir, escalader. Et aussi les éloignements incalculables.

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GéoPhy

Elle marche dans une vallée qui s’élargit ou rétrécit. Suit un fleuve plus ou moins. Traverse une carrière. Le lendemain, s’approche de l’eau.

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Lieu/paysage/géographie

C’est drôle, elle se tient en équilibre, au bord d’elle-même comme au bord de l’eau. S’arrête en ce lieu qui n’est pas ceci et qui n’est pas cela. Ramasse par terre une petite branche. Aussitôt ce sont les lignes de fuite qui remontent vers le ciel, le sol qui bascule. Il y a toujours quelque chose qui ne se laisse pas attraper. C’est une question de géographie, de ce qui nous transforme. Elle a pris la forme de la fuite. Oublié les explications, les histoires. S’est laissée approcher. Il n’est pas dit qu’elle ne filera pas entre leurs doigts.

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Paysage/direction

L’autoroute est comme un pont suspendu, à peine accrochée au paysage. Il faudrait passer dessous. Traverser des morceaux de forêts, une voie ferrée, un terrain sûrement interdit d’accès tout le long protégé d’un grillage. Sortir à découvert au ras du fleuve. Atteindre, au bout de ce grand dénivelé, l’eau qui n’est d’aucune couleur sauf celle, boueuse, de la terre, quand le soleil la traverse et qu’apparaissent les grains, les poussières en suspension. Dans ce monde brun où rien ne pèse. Tout flotte et se balance dans un état d’oscillation qu’un rayon de soleil perce un instant à l’oblique, puis quitte. Restituant à la matière son mystère. Aux arbres leurs reflets. Au ciel le sien qui marque le fleuve d’argenté comme une travée de lumière, une raie au milieu des terres. Que j’ai cherchée. Que j’ai suivie. M’attachant à ce clapot, ce courant. Peut-être parce qu’il y avait en bas, avec le fleuve, une direction.

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MicroGéo

Elle note les toutes petites différences.

 

 

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MicroGéo

Dehors la voisine fait le trajet depuis l’arrêt du bus à la porte de sa maison, chargée de provisions qu’elle déplace d’un endroit à l’autre, d’un contenant à un autre depuis le magasin. Répétant les gestes de charger et décharger, jusqu’à leur aboutissement sur la table de la cuisine. La voisine revient des courses. Et c’est tout. Le dire, seulement ça, c’est une vérité qui suffit.

Les yeux ouverts les yeux fermés

 

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Paysage

Il est un pli par où s’enfuit le paysage et, comme sur un lac les vagues longtemps après nous éveillent d’un songe, il est un pli par où revient chaque jour l’aube, nous éveillant d’un songe.

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Paysage

À force d’ajouter de nouveaux paysages, il y a ceux qu’on oublie, qu’on transforme, qui font une empreinte différente. Avec quel étonnement elle les retrouve, obscurcis, mélangés. Y a t-il un avant et un après, elle se le demande.

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Lieu/paysage/espace-son

Mon pas dansé sur un pont, je passe d’un lieu à l’autre, inaperçue. Le passage est ce qui reste. Regarder au-dehors les oiseaux c’est comme écouter une musique qui ne s’arrête pas, qui remplit toujours le paysage. Il y a peu d’endroits déserts, vides absolument. Toujours un cri, un son quelque part. Des craquements de branches. Les souffles des bêtes quand elles approchent.

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Paysage/fleuve

Je cherche un paysage plus grossier, plus sauvage. Il est temps de laisser la vallée derrière moi, le fleuve prévisible descendre seul à l’ouest.

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Direction/ville/centre-périphérie

De pas, d’immeubles, de parkings, de rues. Sans regarder ni réfléchir à aucune direction, sauf à aller plus loin. Dépasser la cité où l’on dort. Dépasser la ville, traverser chaque écorce de sa périphérie. Des jours de fuite lente. Elle longe une nationale. Des jours à découvert le long d’une nationale. Des zones commerciales. Une nuit au commissariat avec l’humiliation.

[…]

Un pas en entraîne un autre, c’est ça. Des espacements apparaissent. Après des journées de pancartes et d’enseignes, de bâtiments en tôle, tout change d’échelle. L’anneau de la périphérie relâche son étreinte. Les routes plus petites. L’herbe des bas-côtés. Les gravillons, la poussière, un nuage. Le cri des corneilles qu’elle prend pour apostrophe chaque fois à son passage.

 

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Ville-campagne

Elle s’est tournée de tous côtés, il n’y avait plus rien qui fut là. Il n’y avait plus rien autour. Elle avait quitté la ville qui est une sorte de réalité, quelque chose de solide. Elle avait pris le risque de disparaître, c’est ça. Elle s’est tournée de tous côtés avant que vienne la nuit plus tranchée. Qu’arrive l’abandon.

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direction/espace-son

Elle a choisi au hasard une direction. Repéré les jours de marché dans les villages. Elle est passée sans trop s’attarder. Les laissant définitivement en arrière, les villages, attachés les uns aux autres. N’ayant ni début ni fin et finissant pas se relier entre eux, en bribes. Fragments de wagons, de pont. Morceaux associés de ciel et de terre, fondus ensemble. Au défilement desquels il n’est plus nécessaire de savoir qui, d’elle, du vent, bouge quoi. Qui se déplace, et pour aller où. Une antenne hissée sur une colline au-dessus d’un troupeau. Des branchages. Un silo. Le long hurlement d’un chien reliant tout à travers la campagne.

 

Virginie Gautier, Les yeux ouverts les yeux fermés

Serge REGGIANI & l’amour et la géographie

Parfois tu voyages, tu traverses la Beauce pour rallier Tours à Vernon. Au hasard tu as pris quelques disques, Lambarena, Alan Stivell et Serge Reggiani. On ne t’y reprendra plus : pour voyager en Beauce par temps gris tu emmèneras du rock’n’roll, Luke ou General Electric. Mais en écoutant Reggiani, rien de perdu, tu récupères ce couplet ville & géographie. Entendons confondre comme fondre puisque l’amour c’est de la géographie et inversement.

Madame Nostalgie
Tu pleures sur un nom de ville
Et tu confonds, pauvre imbécile
L’amour et la géographie

G. Moustaki, Madame nostalgie

Chloé DELAUME & la longitude éphémère

Entré dedans cette écriture un peu obligé. Professionnellement. Du coup lire lire lire. Ceux autofictifs, et ceux moins autofictifs. En attendant le dernier, celui sur le Liban, plongée dans Transhumance (des personnages désorientés, qui rosent des vents) et dans les articles sur le site de l’auteur. La géographie y affleure pas mal. Pour décrire La République Bananière des Lettres.

Situation géographique
Enclavée dans le Royaume Editorial, la République Bananière des Lettres (RBL) existe depuis le milieu du XVIIIe siècle. Sa superficie est de 3,2 km², constitués de maisons fixes et de zones mouvantes. Sa densité est de 20 666 habitants au km², avec une forte concentration au fond des Douves et du Mouroir. Son altitude est négative bien qu’elle comporte une colline, en haut de laquelle se trouve le Château, qui héberge le Président, le Parlement, et les citoyens de classe 4 minimum. Sa latitude et sa longitude ne sont pas identifiables, en raison de la nature éphémère de nombre de ses domaines, qui s’évanouissent à chaque venue des géomètres.

Chloé DELAUME, La République bananière des Lettres

Pierre SENGES & la géographie familière

Je me souviens (on ne peut plus écrire ces 3 mots ensemble, dans cet ordre, on se dit « ça y est tout le monde va penser à Perec, c’est fait, refait & surfait », mais bon, ce sont les mots adéquats) lors de mes études de géographie, les professeurs nous encourageaient à nous perdre, pour essayer de retrouver l’orientation ; ils nous parlaient des médinas propices à la perte de repères occidentaux. Je me souviens, encore plus loin, lors de mes études d’architecture, du chargé de TD au bull-terrier (celui qui bouffait les stylos tombés à terre) qui nous avait faire un travail sur notre quartier, un quartier-espace comme on le percevait ; mon premier travail de géographe, avant de la connaître vraiment la géographie. Voilà ce que me tire cet extrait d’Environs et mesures, où que beaucoup détestent la géographie, mais que tout le monde, inévitablement, en fait.

Géographie étrangement familière (approximation)

Se perdre, se retrouver, se perdre (etc.) : la géographie est familière, étrangement familière – elle l’est même vaguement : méconnaître les frontières a longtemps été le propre de l’homme, naviguer au jugé, se fier aux étoiles selon ce qu’on en sait, avancer dans le brouillard et situer grosso modo Moscou quelque part là-bas, à main droite, vers le pôle Nord (il y neige sur des bonnets d’astrakan). De mauvaises réputations faites au sujet de peuples ignorants incapables de dire par où passent exactement les lignes des tropiques pourraient être généralisées : l’approximation est notre façon d’occuper géographiquement ce monde, même si de temps à autre, par-ci par-là, occasionnellement, la précision devient un jeu ou une aristocratie d’arpenteur, ou une question de stratégie. Le vague relève de la familiarité : ne pas trop savoir où on est c’est parfois se sentir chez soi (supposons), tandis que l’étranger venu de l’autre bout du monde a tout intérêt à savoir avec exactitude où finissent et où commencent les terres.

Une géographie étrangement familière : s’y retrouver familièrement, reconnaître ici ou là des visages, se rassurer de leur présence et s’en servir comme des jalons de son propre territoire, un territoire qui passera pourtant progressivement de chez soi à l’étranger, mais en douceur et sans rupture, en s’avançant dans la pénombre. L’habitant prendrait toute détermination pour une manie de touriste, ou d’urbaniste doté de bien mauvaises intentions : la rue d’à côté est la rue d’à côté, la rue d’en face, la rue d’en face, leurs noms exacts sont affaire de malle-poste, d’avis d’imposition et des querelles de cadastres qu’on déplie sur place pour départager les héritiers. Chez soi et son quartier est ce lieu où l’on règne sans avoir toujours à connaître les latitudes et les longitudes : on y règne approximativement, nonchalamment, avec l’assurance peut-être naïve de n’avoir de compte à rendre à personne. L’exploration du monde par le sédentaire se fait au moyen d’une imagination plus ou moins habile, de ses innombrables et prodigues préjugés, de connaissances tronquées, mal rapportées, mêlées à d’autres, battues comme des cartes ou comme des œufs (au mieux, au pire) : la Chine n’est pas un non-lieu, elle demeure la Chine même sous son déguisement de Chine de légende et de guide de voyage; et les Antipodes composent avec ce qu’ils sont réellement et ce que l’on invente en leur hommage, pour en être digne.

Pierre SENGES, Environs et mesures

Michel HOUELLEBECQ & la carte

Voilà enfin quelques citations tirées de La Carte et le territoire, du Houellebecq Michel (il a un homonyme qui joue au foot à Manchester Utd : l’attaquant Welbeck). J’ai pas fini encore le livre ; c’est pas trop mon truc Houellebecq, mais par curiosité géographique je parcours celui là et j’y pioche :

Le lendemain, son père passa le prendre dans sa Mercedes. Vers onze heures ils s’engagèrent sur l’autoroute A20, une des plus belles autoroutes de France, une de celles qui traversent les paysages ruraux les plus harmonieux ; l’atmosphère était limpide et douce, avec un peu de brume à l’horizon. À quinze heures, ils s’arrêtèrent dans un relais un peu avant La Souterraine ; à la demande de son père, pendant que celui-ci faisait le plein, Jed acheta une carte routière « Michelin Départements » de la Creuse, Haute-Vienne. C’est là, en dépliant sa carte, à deux pas des sandwiches pain de mie sous cellophane, qu’il connut sa seconde grande révélation esthétique. Cette carte était sublime ; bouleversé, il se mit à trembler devant le présentoir. Jamais il n’avait contemplé d’objet aussi magnifique, aussi riche d’émotion et de sens que cette carte Michelin au 1/150 000 de la Creuse, Haute-Vienne. L’essence de la modernité, de l’appréhension scientifique et technique du monde, s’y trouvait mêlée avec l’essence de la vie animale. Le dessin était complexe et beau, d’une clarté absolue, n’utilisant qu’un code restreint de couleurs. Mais dans chacun des hameaux, des villages, représentés suivant leur importance, on sentait la palpitation, l’appel, de dizaines de vies humaines, de dizaines ou de centaines d’âmes — les unes promises à la damnation, les autres à la vie éternelle.

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« Je trouve que c’est très beau. »
Elle avait dit ça simplement, calmement, mais avec une vraie conviction. Incapable de trouver une réponse appropriée, Jed tourna son regard vers l’image. Il devait convenir qu’il était, en effet, assez content de lui. Pour l’exposition il avait choisi une partie de la carte Michelin de la Creuse, dans laquelle figurait le village de sa grand-mère. Il avait utilisé un axe de prise de vues très incliné, à trente degrés de l’horizontale, tout en réglant la bascule au maximum afin d’obtenir une très grande profondeur de champ. C’est ensuite qu’il avait introduit le flou de distance et l’effet bleuté à l’horizon, en utilisant des calques Photoshop. Au premier plan étaient l’étang du Breuil et le village de Châtelus-le-Marcheix. Plus loin, les routes qui sinuaient dans la forêt entre les villages de Saint-Goussaud, Laurière et Jabreilles-les-Bordes apparaissaient comme un territoire de rêve, féerique et inviolable. Au fond et à gauche de l’image, comme émergeant d’une nappe de brume, on distinguait encore nettement le ruban blanc et rouge de l’autoroute A20.
« Vous prenez souvent des photos de cartes routières ?

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le libéralisme redessinait la géographie du monde en fonction des attentes de la clientèle, que celle-ci se déplace pour se livrer au tourisme ou pour gagner sa vie. À la surface plane, isométrique de la carte du monde se substituait une topographie anormale où Shannon était plus proche de Katowice que de Bruxelles, de Fuerteventura que de Madrid. Pour la France, les deux aéroports retenus par Ryanair étaient Beauvais et Carcassonne. S’agissait-il de deux destinations particulièrement touristiques ? Ou devenaient-elles touristiques du simple fait que Ryanair les avait choisies ? Méditant sur le pouvoir et la topologie du monde, Jed sombra dans un assoupissement léger.

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L’entrée de la salle était barrée par un grand panneau, laissant sur le côté des passages de deux mètres, où Jed avait affiché côte à côte une photo satellite prise aux alentours du ballon de Guebwiller et l’agrandissement d’une carte Michelin « Départements » de la même zone. Le contraste était frappant : alors que la photo satellite ne laissait apparaître qu’une soupe de verts plus ou moins uniformes parsemée de vagues taches bleues, la carte développait un fascinant lacis de départementales, de routes pittoresques, de points de vue, de forêts, de lacs et de cols. Au-dessus des deux agrandissements, en capitales noires, figurait le titre de l’exposition : « LA CARTE EST PLUS INTÉRESSANTE QUE LE TERRITOIRE ».

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Signé de Patrick Kéchichian, l’article — une pleine page, avec une très belle reproduction en couleurs de sa photographie de la carte Dordogne, Lot — était dithyrambique. Dès ses premières lignes, il assimilait le point de vue de la carte — ou de l’image satellite — au point de vue de Dieu. «Avec cette profonde tranquillité des grands révolutionnaires », écrivait-il, « l’artiste — un tout jeune homme — s’écarte, dès la pièce inaugurale par laquelle il nous donne à entrer dans son monde, de cette vision naturaliste et néopaïenne par où nos contemporains s’épuisent à retrouver l’image de l’Absent. Non sans une crâne audace, il adopte le point de vue d’un Dieu coparticipant, aux côtés de l’homme, à la (re)construction du monde. » Il parlait ensuite, longuement, des œuvres, développant une connaissance surprenante de la technique photographique, avant de conclure : « Entre l’union mystique au monde et la théologie rationnelle, Jed Martin a choisi. Le premier peut-être dans l’art occidental depuis les grands renaissants, il a, aux séductions nocturnes d’une Hildegarde de Bingen, préféré les constructions difficiles et claires du «  bœuf muet  », comme ses condisciples de l’université de Cologne avaient coutume de surnommer l’Aquinite. Si ce choix est bien entendu contestable, la hauteur de vues qu’il implique ne l’est guère. Voici une année artistique qui s’annonce sous les plus prometteurs auspices. »

Michel Houellebecq, La Carte et le territoire

Jean-Luc SEIGLE & la géographie

Un billet pour presque rien, pour 2 phrases. Pour 2 phrases (et toutes celles autour) lues sur une presqu’île bretonne où le vent, où la pluie. Un billet en attendant celui sur le livre rouge de Lionel-Édouard Martin (promis de puis longtemps longtemps, il risque de se retrouver entre Seigle et Houellebecq, LEM). 2 phrases, une sur le running « j’aime pas la géo » et une sur les photos, et on aurait pu du sur Balzac, parce que le petit lit Eugénie Grandet, dans l’autre blog.

« La géographie, il faut voyager pour l’aimer » (p. 95)

« Les images ne disent rien, elles font dire » (p. 146)

J.-L. Seigle, En vieillissant les hommes pleurent

Gustave FLAUBERT & toutes les géographies du monde

Les écrivains, c’est pas rare, dessinent. Au (desuet) musée de la vie romantique, avec les élèves en récré à côté, j’ai observé les dendrites (paysages imaginaires) de G. Sand. Hugo aussi dessinait plutôt bien, mais sombre souvent. Flaubert, je ne pense pas qu’il dessinait, mais dans

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dans toutes les géographies du monde-

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les manuscrits de Madame Bovary, on retrouve le plan de Yonville, bourg normand fictif à Flaubert

qu’il décrit, aussi :

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les captures d’écrans et manuscrits proviennent de http://www.bovary.fr/

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