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LES LIGNES DU MONDE – géographie & littérature(s)

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Géographie de Balzac. Portrait impressionniste de la France ?

Un article sur la géographie de Balzac paru dans la revue M@ppemonde.

Résumé :

Nous proposons une tentative de représentation cartographique de la géographie de Balzac à l’échelle de la France. Le corpus traité provient du répertoire géographique d’Hoffmann (1968). La géographie de Balzac est tributaire de son époque et met en évidence la diversité de ses points de chute. Cette géographie est avant tout parisienne puis a pour support, en grande partie, la moitié nord-ouest de la France. On note une importante fragmentation des territoires qui traduit l’esthétique des romans réalistes caractérisée par une description de sphères spatiales modestes à l’échelle des milieux géographiques et répond à la peinture des « types sociaux ». Le croquis chorématique apporte quelques éclairages sur l’organisation de l’espace français dans la première moitié du XIXe siècle.

Géographie de Balzac. Portrait impressionniste de la France ?

juillet 2018

Plus de vingt après une première esquisse « chorématique » de l’organisation spatiale du Lys dans la vallée (Morhange, 1991), nous proposons une tentative de représentation cartographique de la géographie de Balzac à l’échelle de la France. Le corpus traité provient du monumental répertoire géographique d’Hoffmann (1968), chaque occurrence de lieu étant représentée sur la carte selon la méthode classique des cercles proportionnels (figure 1). Du point de vue méthodologique, nous avons utilisé l’index des communes du répertoire qui inventorie tous « les noms de villes, villages, bourgades et lieux-dits, ainsi que les châteaux, églises et autres bâtiments isolés », chaque lieu géographique n’étant représenté sur la carte qu’une fois par roman ou nouvelle de La Comédie humaine (Hoffmann, 1968).

Figure 1. Carte des lieux géographiques cités par Balzac dans La Comédie humaine, d’après le répertoire géographique de Hoffmann (1968).

Le rapprochement entre cartographie et littérature pour l’étude des espaces romanesques n’est pas nouveau avec les premières tentatives des guides touristiques Baedeker dès le XIXsiècle (Bulson, 2007), puis la publication d’un certain nombre d’atlas littéraires ou d‘ouvrages universitaires (Sharp, 1904 ; Bartholomew, 1910 ; D’Auby Briscoe et al., 1936 ; Bradbury, 1996 ; Moretti, 1998 ; Piatti et al., 2009 ; Boeglin et al., 2016, parmi beaucoup d’autres références), quand ce ne sont pas les auteurs eux-mêmes, comme Defoe, Zola, Stevenson ou Faulkner, qui se sont transformés en apprentis cartographes…

Entre les pays et les âmes, entre les villes et les destinées des créatures qui y passent leur existence, il est des harmonies secrètes et de mystérieuses consonances. Inaperçus du commun, ces rapports à l’espace n’ont pas échappé à Balzac (Ponceau, 1974 ; Jacques, 1975). Mais il les a si étroitement intégrés à son œuvre romanesque qu’il fallait les y redécouvrir et les mettre en évidence grâce à la cartographie de tous les lieux nommés, même s’il est évident que la dimension géographique des romans ne se réduit pas à la seule cartographie des lieux identifiés dans les textes.

Comme Balzac l’annonce dès l’avant-propos de sa Comédie humaine, la géographie a son importance : « J’ai tâché de donner une idée des différentes contrées de notre beau pays. Mon ouvrage a sa géographie comme il a sa généalogie et ses familles, ses lieux et ses choses, ses personnes et ses faits ». Balzac fut en effet « le premier à intégrer à ses romans la description d’une réalité géographique à la fois proche dans l’espace et dans le temps » (Mozet, 1982). Par exemple, on fait souvent de Balzac le premier romancier du paysage avec Le Lys : « je voulais surtout étudier la langue française aussi bien que les fibres les plus déliées du cœur, et aborder la grande question du paysage en littérature » (préface du Lys dans la vallée, édition de 1836).

la suite de l’article par ici : Géographie de Balzac. Portrait impressionniste de la France ?

Pierre SENGES & le nouveau monde

Bientôt, nous accueillons Pierre Senges pour une lecture au musée, alors je me renseigne, pour ne pas dire j’en lis un maximum. J’ai déjà arpenté Fragments de Lichtenberg, parcouru ses Environs et mesures, j’ai emprunté 3 ouvrages à la bibliothèque, posé Etudes de silhouettes sur l’étagère des livres à lire. Je me renseigne donc. Et je m’aperçois que la géographie, les cartes, cela l’intéresse pas mal, l’auteur.

Pour les besoins de la cause (Rabelais / XVIème siècle…) je m’attache à La Réfutation majeure ; qui tend à prouver que le nouveau monde est une imposture. « Ciel nous sommes découverts » dirent les indiens en 1492 ! « Ah non ouf ! nous ne sommes qu’une chimère ! » leur permet d’ajouter ici le confesseur de Charles Quint.

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Gonçalo M. TAVARES & le génie de la carte

Depuis Un Voyage en Inde je suis avec curiosité l’œuvre de G. M. Tavares. De plus ou moins près. De Monsieur Calvino à ce Berlin/Bucarest/Budapest. J’aime assez son écriture souvent froide et sans fioritures. Et là comme ça voyage… Il y est donc question de carte à un moment, et plusieurs fois de villes. De génie donc, celui loci, qui strate l’espace et le fait territoire.

 

CARTE

[…] quelle importance peuvent avoir les évolutions d’une carte ? Dans le fond, ce ne sont que des modifications graphiques sur de la pâte à papier civilisée et préparée à recevoir de nouveaux tracés vigoureux par dessus de vieux tracés fragiles.

BERLIN

À Berlin les rues sont délibérément non sentimentales. tu ne peux pas t’y perdre. Elles vont d’un endroit à l’autre ; elles ont une partie qu’on appelle milieu, et elles ont une fin qui en vérité ne l’est jamais, vu que chaque rue glisse vers d’autres rues comme si la ville avait plusieurs niveaux. Une ville n’a pas de fin, pense Martha.

Ce ne sont pas des rues, ce sont des documents, des archives : tu sais où se trouve chacune d’elles, où elle va.

– La ville est tellement bien ordonnée que, si tu te perds, c’est que tu es déjà sorti de Berlin, dit Markus.

BUDAPEST

À Budapest, l’Europe confirme qu’en architecture elle est un continent petit ; c’est le Danube qui commande et la ville est faite de rues parallèles ou perpendiculaires à l’eau principale ; comme si celle-ci était une déesse ancienne. Aucun bâtiment n’a connu une croissance démesurée.

Gonçalo M. TAVARES, Berlin, Bucarest-Budapest : Budapest-Bucarest

Emmanuelle PIREYRE & les cartes muettes

J’ai lu Féérie générale il y a quelques temps. J’ai kiffé (je suis un mauvais critique, oui, ça se résume à j’ai aimé ou pas, ça a fait bouger des lignes ou pas). Mais là, le top, même, ce côté socio-pecquien avec de l’humour. Du coup je lorgnais sur ce Comment faire disparaître la terre ? que je lisais en géographe distrait Comment faire disparaître la Terre ? J’ai mis un peu de temps à comprendre de quelle terre il s’agissait. La géographie est néanmoins présente, à travers les cartes muettes, une autre façon de faire disparaître la Terre pour permettre aux élèves de la constituer, voir parfois (et c’est mieux encore) de la réinventer.

_ Les cartes physiques muettes utilisées en géographie sont une cause majeure d’angoisse en milieu scolaire. C’est cette fois à l’enfant lui-même de se diriger dans le sable noir ; lui dont l’expérience est limitée, qui n’a navigué sur aucun fleuve, n’a escaladé qu’un nombre infinitésimal de montagnes et sommeillé que sur un nombre infinitésimal d’autoroutes, il se trouve forcé de rédiger la légende d’un dessin abstrait au feutre noir signé Le Professeur des écoles. C’est trop noir, il ne peut pas deviner : « c’était noir, horrible et abrupt, j’ai couru dans la matière noire, et alors j’ai eu peur. »

E. Pireyre, Comment faire disparaître la terre ?

Roberto BOLAÑO & les cartes

Après avoir lu le Roman de Bolaño, il fallait bien découvrir l’écriture de Bolaño. Donc ce fut pendant les vacances dans la Somme, et par Etoile distante. Presque polar chilien, sur cette période autour de 1973. la liberté et la dictature. Depuis longtemps je m’intéresse à ce basculement -déjà dans la banlieue d’enfance, j’avais emprunté les aventures de Miguel Littin clandestin racontées par Garcia-Marquez-. Avant de peut-être mais c’est gros tenter les 2 pavés, Bolaño nous parle d’une maison des cartes.

Cette maison, c’était moins des livres qui l’occupaient, que des cartes. C’est ce qui avait attiré tout d’abord notre attention, à Bibiano et à moi : qu’on y trouvât si peu de livres (en comparaison, la maison de Diego Soto ressemblait à une bibliothèque) et autant de cartes. Des cartes du Chili, d’Argentine, du Pérou, des cartes de la cordillère des Andes, une carte routière d’Amérique centrale dont je n’ai plus jamais revu d’exemplaire, éditée par une Église protestante nord-américaine, des cartes du Mexique, des cartes de la conquête du Mexique, des cartes de la révolution mexicaine, des cartes de France, d’Espagne, d’Allemagne, d’Italie, une carte des voies ferrées anglaises et une carte des voyages ferroviaires de la littérature anglaise, des cartes de Grèce et d’Égypte, d’Israël et du Proche-Orient, des plans de la ville de Jérusalem ancienne et moderne, des cartes de l’Inde et du Pakistan, de la Birmanie, du Cambodge, une carte des montagnes et des fleuves de Chine, une des temples shintoïstes du Japon, une carte du désert australien et une autre de la Micronésie, une carte de l’île de Pâques et un plan de la ville de Puerto Montt, dans le sud du Chili.

Il avait beaucoup de cartes, comme souvent en ont ceux qui désirent ardemment voyager et ne sont pas encore sortis de leur pays.

R. Bolaño, Etoile distante

Portrait de Balzac en géo-graphe (15) : LE VOYAGE DANS L’ŒUVRE DE BALZAC (5)

Voyages imaginés & imaginaires

Honoré de Balzac écrit souvent sur des lieux qu’il connait, où il est passé. Mais pas que. Dans certains romans il évoque des régions qu’il n’a vraisemblablement fréquenté que dans les dictionnaires, atlas ou par ouïe dire. C’est par exemple le cas de L’Auberge Rouge (1831) et de Séraphîta (1835). Par l’ironie du sort, ce sont ici 2 pays qu’il a approché par la suite. Respectivement l’Allemagne et la Norvège observée depuis le bateau pour Saint-Pétersbourg.

Ces côtes de Norvège, Balzac doit donc les rêver sur la carte :

À voir sur une carte les côtes de la Norvège, quelle imagination ne serait émerveillée de leurs fantasques découpures, longue dentelle de granit où mugissent incessamment les flots de la mer du Nord ? Qui n’a rêvé les majestueux spectacles offerts par ces rivages sans grèves, par cette multitude de criques, d’anses, de petites baies dont aucune ne se ressemble et qui toutes sont des abîmes sans chemins ? Ne dirait-on pas que la nature s’est plu à dessiner par d’ineffaçables hiéroglyphes le symbole de la vie norvégienne, en donnant à ces côtes la configuration des arêtes d’un immense poisson ? Car la pêche forme le principal commerce et fournit presque toute la nourriture de quelques hommes attachés comme une touffe de lichen à ces arides rochers. Là, sur quatorze degrés de longueur, à peine existe-t-il sept cent mille âmes.

Séraphîta

Il ne les découvre en vrai qu’en 1843.

D’autres lieux de romans ne seront jamais visités par Balzac comme l’Espagne d’El Verdugo (Menda, une ville inventée ?) ou Des Marana (Tarragone).

Dans la bibliographie de Balzac, un ouvrage plus particulièrement fait figure d’hapax : Voyage de Paris à Java (1832). Voyage imaginaire, car Balzac n’est bien entendu jamais allée à Java.

Je me suis laissé aller à mes fantaisies. J’ai vu tout en amateur et en poète. Il serait possible que j’eusse jugé les Javanaises comme cet Anglais jugea les femmes de Blois, d’après un seul échantillon. Mais si je mens, c’est de la meilleure foi du monde.

Pour se saisir de l’idée, du texte, il écoute, en décembre 1831 chez son amie Zulma Carraud – à Angoulême, un commissaire aux poudres (Monsieur Grand-Besançon) raconter ses aventures javanaises.

Dans ce Voyage de Paris à Java, qui évoque plus une Java imaginaire que le voyage-déplacement pour s’y rendre, “plus qu’à la visite d’une île, Balzac nous invite […] à découvrir les territoires qui peuplent son imaginaire.” (P. Citron). Tout commence en Touraine, lorsque le narrateur fait se rejoindre Inde et Indre :

Un jour, en novembre 1831, au sein d’une des plus belles vallées de Touraine, où j’avais été pour me guérir de mon idée fixe, et par une ravissante soirée où notre ciel avait la pureté des ciels italiens, je revenais, gai comme un pinson, du petit castel de Méré, jadis possédé par Tristan, lorsque je fus arrêté soudain, à la hauteur du vieux château de Valesne, par le fantôme du Gange, qui se dressa devant moi !… Les eaux de l’Indre s’étaient transformées en celle de ce vaste fleuve indien. Je pris un vieux saule pour un crocodile, et les masses de Saché pour les élégantes et sveltes constructions de l’Asie… Il y avait un commencement de folie à dénaturer ainsi les belles choses de mon pays : il fallait y mettre ordre.

L’Orient est à la mode à cette époque. Il y a ceux qui font le voyage et ceux qui rêvent le voyage. Balzac fait partie des seconds, avec une géographie confuse. “Pour [Balzac], l’Orient est un monde sans délimitation géographique précise ; dans son esprit, “ l’Asie et l’Orient se recouvrent largement ” [P. Citron]. ” Il nourrit son imaginaire de lectures, il fait notamment un compte-rendu du livre d’Auguste Borget intitulé La Chine et les chinois. Il en résulte des lieux communs et caricatures que l’on retrouve dans le Voyage de Paris à Java.

– L’esthétique désuète de la carte –

Commentaire de carte :

NoTeS&PaRSeS

Il y avait dans l’air comme quelque chose de géométrique.

– L’esthétique désuète de la carte –

Nous avions accosté sur ces confins du pays,

– une cité qui s’enroule comme un escargot –

on ne savait pas comment.

– une route qui fait un pif –

Déjà du train nous notions dans nos carnets

– ça dépend de l’échelle –

les paysage aux lignes droites,

– l’échelle, la prendre pour monter à Noyelles –

seul,

– à pas grands, Noyelles –

presque,

– traverser la route celle rectiligne –

le trajet du train connaissait les courbes,

– toutes rectilignes, d’ailleurs,

les routes, sur cette portion de carte –

et encore,

– Paysages psychorigides, tout s’aligne

les routes en perspectives, les maisons dans leurs –

courbes légères.

– écrins de petits urbs –

Nous avions rendez-vous dans

– On pourrait mettre des couleurs sur la carte,

la mondrianiser, la Picassoier –

une…

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La Terre est une succession de couleurs.

Commentaire de carte

NoTeS&PaRSeS

Vous me ferez la coupe géologique de cette carte. Le sol est coloré. En suivant la ligne tracée en diagonale vous traverserez les couches – blanc ; bleu ; jaune ; vert pomme ; vert herbe ; bleu très ciel ; orange /// et retour /// calcaire massif (urgonien) ; marnes ; calcaire dur ; marnes épaisses ; calcaire massif (tithonique) ; calcaire marneux ; alluvions et dépôts glaciaires. La Terre est une succession de couleurs. Vous plancherez 1 heure, pas une minute de plus, pas une seconde de plus. Vous ferez de cette abstraction colorée une coupe concrète : concrétisez la carte : concrétisez cette portion du monde que vous ne connaissez pas, probablement. La carte est une représentation du monde ; votre coupe sera une représentation de la carte qui est une représentation du monde. Le sol est une succession de stries. Chacun voit midi à sa porte, chacun voit le monde entre 2 courbes…

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Anne SAVELLI & la géographie du lac

Lu le livre d’Anne Savelli dans le lieu balzacien si propice à la concentration (Je suis venu me réfugier ici au fond d’un château, comme dans un monastère. écrit-il). Dès la couverture, la géographie est là, tangible, puis dans la suite des mots, l’assemblage des phrases, l’auteure nous permet de dresser le paysage, un paysage bien réel que nous mettons en images mentales, aidés de quelques photos de fin d’ouvrage. Lu le livre (résultat d’une résidence au lac de Grand-Lieu), et envoyé ce mail dans la foulée.

Chère Anne,

je viens de lire votre Île ronde qui est arrivé à moi grâce à M. avant même que je ne prenne le temps d’aller à lui (croisant M. à Paris, causant dans une librairie du côté de la Bastille, je lui dis justement que j’aimerai trouver votre île et le livre de Christophe G.). Un beau moment de lecture. Quelque chose de différent, de singulier et d’un peu étrange. Une atmosphère particulière (j’ai beaucoup lu Chloé Delaume au début de l’année, cela m’a fait écho à son Transhumance où aussi l’étrange et la géographie). Et la géographie donc !

En voilà, quelques extraits de cette géographie, dont certains sont de Joachim Séné, invité à prendre part au texte. Peut-on s’installer dans un lieu sans contours ? Vers quoi avance-t-on quand ce qui délimite ne semble plus visible ? Il faudrait rester plusieurs heures pour devenir aussi précis que le paysage. vous saviez que le lac est une déchirure de la terre ? Il n’y a que des noms en bas, aucune ville en réalité, que des mots tracés sur le sol de carte. J’augmente la superficie de l’ordre, ce qui brouille les cartes, mélange les noms de rues, leurs directions même.

Éloignée du lac elle est une, fait illusion peut-être avec son corps de femme. Mais elle se sent nue, débordante, encombrée. Sans contrainte, sans barrière à franchir ni saut à effectuer, terrain à déminer, que faire? Peut-on s’installer dans un lieu sans contours? Faut-il lutter contre? Doit-elle esquisser un geste (tricoter sans aiguille ni laine, lire un journal inexistant)? Fuir? Se souvenir des villes? Retourner en arrière?

Une chose à faire chaque jour pour ressembler soi-même à quelque chose, d’accord. Mais peut-on réfléchir quand il n’y a plus de corps, de murs aux alentours? Vers quoi avance-t-on quand ce qui délimite ne semble plus visible (est simplement vivant) ? Si on ne tourne plus en rond sans savoir où aller, on va jusqu’où, au juste ? Dita, les yeux au sol, remarque : c’est bien la première fois que la question se pose.
Ça doit être la nature qui me fait cet effet.
Au-delà de la place il n’y a plus de sentier.

Oui c’est de calme qu’il s’agit. Il faudrait rester plusieurs heures pour devenir aussi précis que le paysage. Ou plusieurs jours, plu- sieurs années. Mais suffira-t-il d’ouvrir les yeux, les oreilles, même si longtemps, pour se laisser prendre par la vie du sable, de l’eau, se détacher de ce qui gronde, ailleurs, plus loin – à se rendre plus loin encore on tombera sur la guerre, inévitablement, la course pour éviter les bombes, attraper son enfant au vol, le tirer vers l’avant pour le mettre à l’abri. Tout cela est si proche, leurs voix sont à côté. Faut-il s’en détacher?

[…] vous saviez que le lac est une déchirure de la terre ?

Il n’y a que des noms en bas, aucune ville en réalité, que des mots tracés sur le sol de carte, enregistrés dans la mémoire numérique de la carte embarquée, ma position reliée aux satellites, tous ces noms que je pourrais effacer, et il ne resterait plus que le territoire nu, le lac seul, le passage qu’il est.

(Joachim Séné) J’augmente la superficie de l’ordre, ce qui brouille les cartes, mélange les noms de rues, leurs directions même, chaque nom retrouve la meilleure rue, celle pour laquelle il était dès le départ destiné et que des urbanistes maladroits avaient mal baptisée… Tout gonfle… le nom des villes s’estompe… Paris devient Bogor… Nantes est Nanjing… Le Géant est acclamé par tous… le Lac se sublime en cirque de volcans éteints… l’Île fond en nénuphar… la Loire, ou la Seine, se ramifie en ruisseaux boisés ou souterrains… Et d’un coup sec. Le général se fige. Les dimensions s’inversent: le Géant – je – tu – est observé au microscope à balayage électronique, épousseté moléculairement; par ces lentilles tout redevient gigantesque et je regarde ma prochaine destination, à deux enjambées plus au nord, sous les eaux roses de son soleil couché : Jakarta.
Et tous de suivre, alors, d’aller parmi les rues sinueuses, à la recherche d’échafaudages et d’échelles, jusqu’au bord de l’eau où les tours de verre, bouclier de la ville moderne, reflètent son avenir, ils pénètrent ces surfaces de réflexions, se font plan et glissent jusqu’à celui, perpendiculairement éclaté des toits, pour chercher dans le regard du ciel un repos qui leur échappe.

Anne SAVELLI, L’Île ronde

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