Loin de l’océan, tout juste quelques modestes remous dans la retenue d’eau transformée en plage. A l’opposée du pays, du côté de Dijon, avec vue sur quelques vallons caniculaires, on prend le frais dans les églises et les musées. Et je lis derrières les volets tirés cet océan.
Je suis né dans la plaine, j’y ai passé de longues années. Quand j’en suis parti, j’aspirais aux reliefs et à la profusion des roches, des végétaux. Puis j’ai vécu au bord de l’océan et me suis rendu compte que j’aimais l’horizontalité, dès lors qu’elle était perturbée par le mouvement des vagues.
Paysage à la fois mouvant et stable, aux emportements comme régulés par la ligne d’horizon. Face à lui, je me sentais arrimé, éprouvant la consistance du sol, et mon propre attachement à celui-ci.
J’évitais de longer les plages à marée basse, qui atténuaient la séparation entre terre et mer, comme la résolution décevante d’une énigme. Ou quand de fortes pluies brouillaient la ligne d’horizon.
J’ai habité ensuite quelque temps dans une ville à l’intérieur du pays. Les voies d’eau qui la traversaient des décennies plus tôt avaient été détournées, en raison des odeurs pestilentielles des canaux en été. De vieilles photos montraient la ville inondée, avec des gens sur des pontons de fortune. À l’époque, j’étais irritable, comme en proie à un manque.
Aujourd’hui, je vis au bord d’un fleuve. Sur l’autre rive, une grue rouillée, des bâtiments à l’abandon, à demi cachés par des arbres. Cette vue m’obsède. Le fleuve isole la rive opposée, en souligne la fixité, l’inutilité des lieux, et passe, dissuadant d’entreprendre quoi que ce soit.
L’avoir sous les yeux m’arrache à moi-même. Les mouvements qui l’agitent sont étrangers aux miens. Je n’ai rien vécu de décisif face à l’eau, pas de rencontre ni de séparation. Comme si elle m’interdisait de tels débordements. Qu’elle aplanissait l’existence. La réduisant à ce seul besoin : la regarder.
Dominique ANÉ, Regarder l’océan