Dans la grande maison au milieu des champs, paysage ouvert justement, et même les gros flocons de neige qui, impromptus -les premiers de la saison pourtant bien avancée-, tombent ; au moment de rendre le livre (accompagné de Pour un nouveau roman de Robbe-Grillet) je m’aperçois qu’il n’y a aucun billet sur Nicolas Bouvier, pourtant bien fréquenté ! Et j’y relève.

Quand le Japonais en a assez de se sentir à l’étroit dans ses paysages sans horizon, il s’en tire en entrant dans une pomme ou dans une noix.

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Le voyageur se doit d’être un voyant. « Donner à voir » c’est un surréaliste, Desnos ou peut-être Man Ray, qui a dit cela. C’est ce qu’on attend du voyageur ; les gens même qu’il visite exigent qu’il voie mieux qu’eux.

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Ainsi le voyageur écrit pour mesurer une distance qu’il ne connait pas et n’a pas encore franchie. […]

Lorsque le voyageur-arpenteur est parvenu à se débarrasser à la fois de l’attendrissement gobeur et de l’amertume rogneuse que suscite souvent « l’estrangement », et à conserver un lyrisme qui ne soit pas celui de l’exotisme mais celui de la vie, il pourra jalonner cette distance et peut-être, si le cœur est bon, la raccourcir un peu.

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L’engouement systématique ou le dénigrement systématique sont en voyage un grand écueil car le système est fixe et le voyage mobile. Le voyage – intérieur ou extérieur – n’a pas de sens s’il n’est pas justement un chambardement constant des habitudes que l’on avait au départ. Ou un ajustement. On ne voyage pas pour confirmer un système, mais pour en trouver un meilleur, auquel on fera bien d’ailleurs de ne pas adhérer trop longtemps. Ce qui importe c’est le passage.

Nicolas BOUVIER, Le plein et le vide

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