Et … Mme Hanska !

Eveline Hanska. Comtesse, née au tout début du 19è siècle (date incertaine) dans ce qui s’appelle alors la Pologne. À cette époque, la Pologne est beaucoup vaste qu’aujourd’hui, elle englobe l’Ukraine. Mme Hanska habite à Wierzchownia, près de Berditcheff, près (à 150 km) de Kiev.

Les textes de Balzac circulent dans la plupart des pays d’Europe, surtout dans son versant Est, et particulièrement dans l’empire russe francophile.

Mais c’est d’Odessa, sur les rives de la Mer noire, qu’elle envoie sa première lettre (de façon anonyme à Balzac. Admiratrice déçue, elle lui fait quelques reproches quant au fantastique de La Peau de chagrin.

Balzac, qui n’a pratiquement pas voyagé hors de France (il vient à peine de découvrir la Suisse) au moment où il reçoit la première lettre de Mme Hanska, s’enflamme pour cette Etrangère (« Pour vous je suis l’étrangère, et la serai toute ma vie ; vous ne me connaître jamais […]. », lettre de Mme Hanska, 7 novembre 1832), et sans connaitre encore la dame il lui écrit :

[…] je vous avouerai que vous avez été pour moi l’objet des plus doux rêves […] je me suis surpris plus d’une fois chevauchant à travers les espaces et voltigeant dans la contrée inconnue où vous, inconnue, habitiez seule de votre race.

Une des 1ères lettres à Mme Hanska

Il s’en suit une longue et riche correspondance qui les mènera aux bouts de l’Europe et au mariage.

 

Depuis le centre de l’Europe vers ses confins

Mme Hanska est une comtesse itinérante. Elle a son pied à terre près de Kiev et des portes aristocratiques ouvertes dans toute l’Europe (ou presque). Elle en profite, voit du pays et fait voyager notre auteur.

Une première fois, elle l’attire à proximité. Juste une petite frontière à franchir. Celle de la Suisse. Une dizaine de jours à la fin du mois de septembre 1833. À Neuchâtel. Première rencontre sous surveillance du mari.

C’est là […] que nous avons envoyé le mari s’occuper du déjeuner. Mais nous étions en vue, et, alors, à l’ombre d’un grand chêne, s’est donner le furtif baiser premier de l’amour.

  1. à Laure Surville, 12 octobre 1833

Parce qu’elle est mariée ! cette belle Madame Hanska, avec Monsieur Venceslas Hanski. Balzac jure d’attendre. Il attend. Presque 17 ans. Ils se marient finalement en mars 1850, à Berditcheff (Ukraine). Cinq mois à peine avant de revenir mourir à Paris.

Puis Balzac retrouve son étrangère de plus en plus loin.

Genève (1833-34),

Vienne (1834, il profite du voyage pour rencontrer quelques mondanités : Lady Jane Elizabeth Digby, favorite de Louis 1er de Bavière, Klemens Metternich, un autre (Balzac en fut aussi) amant de la duchesse d’Abrantès),

Saint-Petersbourg (1843)

l’Allemagne et Naples (1845),

la Hollande et la Belgique (1845)

… puis l’Ukraine(1847-50).

Vienne

Vienne. Le Lys dans la vallée est écrit à plusieurs endroits, sauf dans le lieu où se déroule l’histoire (ou presque, Balzac dit avoir écrit un portrait à Saché).

A propos de personne se plaignant de se retrouver dans le Lys dans la vallée ou reconnaissant Mme Guibodoni Visconti dans Mme de Morsauf, Balzac répond :

Vous savez que j’avais les épreuves à Vienne, et ce portrait a été écrit à Saché,corrigé à La Boulonnière,avant que j’eusse vu Mme de V[isconti].

lettre à Mme Hanska 1er octobre 1836

Vienne, c’est dans cette ville que Balzac envisage sérieusement de travailler à ce roman.

Je me suis juré de faire cette œuvre à Vienne, ou, sinon, de me jeter dans le Danube

lettre à Mme Hanska 25 mai 1835

 

 

Saint-Pétersbourg

L’un des plus singuliers voyage de Balzac est celui vers Saint-Pétersbourg (fin juillet-septembre 1843). Il fait le trajet en bateau –une petite dizaine de jours en partant de Dunkerque sur le Devonshire. Un comte russe (Kisséleff) envisage de « récupérer » Balzac en profitant de son manque chronique d’argent et de sa popularité ici afin qu’il rédige « la contrepartie de l’hostile et calomnieux ouvrage de Mr de Custine. » (Comte Kisséleff, dépêche au ministre des affaires étrangères K. V. Nesselrode, 24 juillet 1843). Il n’en sera finalement rien. Un journal ajoute même que Balzac « a refusé les propositions que lui avaient faites divers éditeurs de publier ses impressions de voyage, n’ayant d’autre but, en s’éloignant, que de goûter un repos nécessité par tant de fatigues… » (Le Corsaire, 28/29 juillet 1843).

Lors de ce voyage, Balzac retrouve donc Madame Hanska qu’il n’avait pas revu depuis 1835. Il lui apporte aussi une lettre pressante du compositeur Liszt. Cette relation Liszt / Hanska attisera la jalousie de Balzac.

Il fait le voyage retour par les terres, traversant notamment les provinces Baltes.

 

L’Italie

C’est l’un des pays où Balzac se rend le plus souvent : il y fait 5 voyages en deux sessions. Tout d’abord 3 séjours en 1836, 1837, 1838 centrés principalement sur le nord de la péninsule (Milan, Turin, Gênes, Venise, Florence). Puis 2 autres séjours en 1845 et 1846, avec Madame Hanska ; ils vont alors plus au sud, atteignant Naples et Rome.

Ma chère Laure, j’éprouve par avance le plaisir que tu goûteras en pensant que ton frère a mis la main à la plume dans la ville des Césars, des papes, et autres. De t’en faire la description, je ne saurais ! Relis Lamennais (Affaires de Rome) et tu en sauras presqu’autant que moi, et que lui. J’ai été reçu avec distinction par n[otre] Saint-Père, et tu diras à ma mère qu’en me prosternant aux pieds du père commun des fidèles dont la pantoufle hiérarchique a été baisée par moi en compagnie d’un podestat d’Avignon (un affreux maire d’une commune de Vaucluse qui s’est réclamé de son ancienne sujétion), j’ai pensé à elle, et je lui rapporte un petit chapelet, de l’invention de Léon XII, beaucoup plus court à réciter que l’ancien et appelé la Corona, lequel est béni par sa S[a] S[ainteté]. J’ai vu tout Rome depuis A jusqu’à Z.

L’illumination du dôme de S[ain]t-Pierre, le jour de Pâques vaut à elle seule le voyage, mais comme on peut en dire autant de la bénédiction donnée urbi et orbi, le S[ain]t-Pierre, du Vatican, des ruines, il se trouve que mon voyage peut compter pour 10. Malheureusement Rome est chère, elle a autant de mendiants que d’habitants, ce qui rend les visites aux palais et aux galeries d’une impossibilité majuscule; aussi me suis-je empressé de la quitter pour revenir à Paris, où je serai vraisemblablement à la fin du mois, car je suis forcé de passer par la Suisse. Le retour par mer est difficile, faute de places, il y a eu 50 000 étrangers à Rome pour la semaine sainte, et tous ces touristes veulent partir à la fois, ce qui rend les routes impraticables. Je vais jusqu’à Gênes, où je mettrai cette lettre à la poste pour éviter le port et le chemin.

lettre à Laure Surville [20 avril 1846.]

Un voyage discret

A l’été 1845, Madame Hanska fait un séjour clandestin en France. Balzac l’accompagne. Ce voyage inclue la Touraine que l’écrivain fait découvrir à sa future femme. 8 des villes traversées font partie de la liste des 23 villes « sacrées » dont Balzac fait état dans une lettre à Mme Hanska à la fin de l’année 1845 (voir zoom).

Les longs séjours en Ukraine en 1847-1848 et 1849-1950 

Si madame Hanska attire Balzac en divers endroits de l’Europe, c’est seulement à la fin des années 1840 qu’il ira chez elle, près de Kiev (l’Ukraine fait, géopolitique complexe suivant les années, partie de la Pologne ou de l’Empire Russe). La comtesse y possède un vaste domaine (20 000 ha de terres, 500 employés (esclaves) et fermiers) et un beau château,

[…] une espèce de Louvre, de temple grec […] dominant une vallée.

Lettre sur Kiew

Coup sur coup, pratiquement, Balzac fait le long voyage : de septembre 1847 à Février 1848, puis d’octobre 1848 à mai 1850. Trajets longs une huitaine de jours et parfois rocambolesques. Balzac évoque le premier (Paris → Wierzchownia) dans la Lettre sur Kiew. Ce récit de voyage écrit à Wierzchownia mi-octobre 1847, est resté à l’état de manuscrit (ce texte devait être publié dans le Journal des Débats), Balzac y rapporte les péripéties rencontrées sur la route.

Ce n’est pas, visiblement, sans appréhension ni sans humour qu’il envisage le voyage !

Quand Diderot, mercier de La Rivière et Napoléon allèrent en Russie, Dieu sait quelles précautions ils prirent ! L’un prit cinquante mille francs, et l’autre cinq cent mille hommes. […] Je vous le dis, dès qu’il s’agit d’aller dans ce pays, qu’on cherche d’illustres exemples ou les plus ordinaires, tout est inquiétant.

Si j’avais été Lamartine ou Victor Hugo j’aurais pu, comme Napoléon, entraîner l’Europe après moi […], mais je fus héroïque à ma manière, je partis seul[…].

Lettre sur Kiew

 

Ainsi il raconte la durée interminable du voyage, les différents modes de transport (chemin de fer, diligence, voiture particulière), parfois surprenants comme, en Pologne, la malle-poste locale, le kibitka :

Je quittais Radziviloff, comblé de bontés, gorgé d’excellent thé, muni du propre coussin de monsieur de Hackel pour attendrir les secousses du kitbitka (sic) dans lequel j’allais voyager. Figurez-vous qu’être tiré à un kitbitka ou à quatre chevaux, c’est tout un. Cette voiture de bois et d’osier, traînée avec une vélocité de locomotive, vous traduit dans tous les os les moindres aspérités du chemin avec une fidélité cruelle… On saute à trois pieds, l’on retombe sur du foin, le cocher ne s’inquiète pas de vous, son affaire est d’aller, la vôtre c’est de vous tenir.

Lettre sur Kiew

 

Tout dans la nuance, rien dans l’exagération (sic !). Balzac dans sa splendeur de voyageur.

Voyage pimenté.

Avec son lot de rencontres, d’anecdotes agrémentés par les difficultés de communication.

Avec les postillons :

Me voilà donc lancé vers Hamm sans codétenu dans les diligences, seul, ignorant tout, même la phrase nécessaire pour demander mes bagages.

Lettre sur Kiew

 

Le voyage fait mériter l’arrivée, la rend plus belle encore. Balzac soulagé de découvrir enfin la propriété de son aimée.

Il écrit une lettre à sa sœur. Résume. Tout dans la nuance, rien dans l’exagération (sic !). Balzac dans sa splendeur de voyageur (bis).

Ma chère sœur,

Je suis arrivé ici sans autre accident qu’une excessive fatigue, car j’ai fait le 1/4 du diamètre de la terre et plus même en 8 jours, sans m’arrêter ni me coucher; si j’avais doublé le chemin, je me serais trouvé par delà l’Hymmalaia. […] Cette habitation est exactement un Louvre, et les terres sont grandes comme nos départements. […] Encore Wierzchownia passe-t-il pour l’habitation la plus luxueuse de l’Ukrayne qui est grande comme la France. On y jouit d’une admirable tranquillité. […] De la frontière européenne à Odessa, c’est comme un même champ de la Beauce. […]

lettre à Laure Surville, Wierzchownia, 8bre [1847]

 

Le château semble être grand comme une ville, Balzac y possède un petit appartement où il travaille encore et encore, malgré une santé déclinante. Et c’est dans l’église Sainte-Barbe de la ville voisine de Berditcheff qu’Honoré de Balzac et Ewa Hanska se marient le 14 mars 1850.

Un peu de polonais et de russes, mais peu de chose de la Pologne, de l’actuelle Ukraine ou même de la Russie dans l’œuvre de Balzac, si ce n’est, donc, cette déjà citée Lettre sur Kiew, seul récit de voyage réel de cet écrivain, qui évoque plus le voyage pour se rendre à Kiev que la ville elle-même.

Il reste donc à Wierzschownia environ 2 ans, mais en deux séjours.

  • 5 septembre – 15 février 1848 : 1er voyage en UKRAINE (via BELGIQUE, ALLEMAGNE, POLOGNE) : Il quitte Paris Gare du Nord le 5 septembre – Bruxelles – Liège – Aix-la-Chapelle – Cologne – Dusseldorf – Hamm – (en train) – Hannovre (en Schnell-post) – Berlin – Breslau – Gleiwitz (en train) – Cracovie (le 9 – en malle-poste) – Pezeworsk – Brody – Radziwiloff – Dubno – Annopol – Jitomir – Berditcheff – Wierzchownia (le 13 septembre). Il reste en Ukraine jusque fin janvier 1848.

Petit re-passage par la France, Paris et la Touraine entre les deux.

  • 19 septembre – 20 mai 1850 (soit 1 an et 8 mois) : 2d voyage en UKRAINE (via ALLEMAGNE et POLOGNE) : Cologne – Cracovie (le 23 septembre) – Wisniowiec (chez le comte André Mniszech) – Wierzchownia (le 2 octobre).
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